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« Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ou plutôt, qui ? » Denis Gentile m’a envoyé cette belle question l’autre jour, et j’ai décidé d’y répondre.

Je le ferai peut-être sans nuance aux yeux de certains, car pour ma part je ne vois pas l’intérêt de distinguer le « qu’est-ce que » du « qui » : jamais je n’aurais connu cette tenace envie d’écrire s’il n’y avait eu que des sujets potentiels mais personne pour me montrer la voie d’une écriture qui bouscule celui qui la trace.

Qu’est-ce qui m’a donc donné l’envie d’écrire ? Ou plutôt, qu’est-ce qui me la donne ?

Je voulais écrire comme le docteur !

La première fois, cela m’est venu à cause d’un médecin. J’étais petite, ne savais même pas encore lire et pourtant , je me souviens que le geste de l’écriture sur l’ordonnance m’a fascinée. J’avais envie de le reproduire. De retour à la maison et parce que je manifestais le souhait d’écrire « comme le docteur », on m’a donné un stylo et un énorme agenda inusité. Je ne sais combien de temps j’ai pu passer alors, à tracer des lignes au hasard (et vides de sens puisqu’à l’époque je ne savais donc pas écrire), puis à interroger mes parents pour qu’ils me lisent ce que j’avais écrit. Mais invariablement ils me répondaient que je n’avais rien écrit du tout, que mes lignes ne signifiaient rien. Cela me perturbait, me frustrait. Comment n’avais-je rien écrit puisque j’avais tant écrit ? Visiblement, écrire, ce n’était pas le geste. Il y avait quelque chose de plus qu’un tracé dans l’écrit. Mon envie est donc d’abord une quête d’enfant sur la nature de l’écriture.

Le plaisir d’écrire (et de lire)

Plus tard, j’ai enfin appris à lire et écrire, et cela m’a plongée dans une sorte de frénésie de lecture. Vers mes huit ans, j’appréciais surtout les récits animaliers et les articles documentaires sur les bêtes. Mon tout premier désir d’écrire n’a pas tardé ; il descend en droite ligne de ce que je lisais alors : des textes comme La sauvage (Robert Newton Peck), Les mémoires d’un âne (Comtesse de Ségur), Croc-Blanc (Jack London), Kazan (James Oliver Curwood), Le chant de la baleine (Robert Siegel), Un chat dans l’œil (Silvana Gandolfi) et j’en passe. C’était alors une brute envie d’écrire les faits imaginaires qui me fascinaient. Je me souviens m’être beaucoup exaspérée de la lenteur et de la platitude de mon écriture : l’impression que j’avais d’avoir rédigé une histoire dense et vivante se trouvait réduite à peau de chagrin lorsque je relisais mon texte, finalement bien bref, maladroit et peu détaillé. Après chaque essai de ce genre, déçue de moi-même, je cessais d’écrire quelques temps. Car parler de l’envie d’écrire n’est pas tout, il faut aussi évoquer ce qui la met en sourdine : une intense et perpétuelle frustration à la relecture est un exemple parmi d’autres de ces freins. Je pense qu’on n’écrit pas si l’on n’en retire aucun plaisir.

Le déclic ? Mon blog !

Mon véritable déclic ne s’est produit que des années plus tard. J’étais alors au lycée. J’ai ouvert un blog sur une plateforme peu connue, mais dont l’esprit communautaire constituait pour moi, à l’époque, une véritable invitation à s’exprimer. J’avais toujours craint, par timidité, de m’adonner à un type d’écriture plus direct que la narration d’histoire. D’une certaine façon, celui qui invente une histoire reste en dehors de celle-ci, nettement détachable de la trame qu’il tisse ; à l’inverse, sur un blog, dans la plupart des cas, l’auteur partage directement ses ressentis, ses impressions, ses réflexions. Je n’aurais jamais osé cela sur une plateforme traditionnelle, où l’échange entre les blogueurs demeure souvent très limité.

Je me suis fait de véritables amis via ce blog, des amis d’écriture. Leur bienveillance à mon égard m’a beaucoup encouragée à écrire, car dans ce contexte, cela revenait à leur donner quelque chose.

Parallèlement, il y a eu ma professeur de français en classe de première : une femme tout à fait remarquable qui me semblait habitée par ce qu’elle enseignait. J’ai découvert grâce à elle des textes incroyables, des auteurs passionnants et surtout, surtout Baudelaire comme je ne l’avais jamais connu. C’est lui qui a provoqué chez moi un second type d’envie d’écrire. Il ne s’agissait plus d’une envie positive aisément réglable mais d’un véritable besoin, une sorte de mariage impossible entre le trop-plein et la faim. Cela n’arrivait pas souvent, peut-être une fois par mois, jamais plus ; je m’installais alors à mon bureau et j’oubliais tout pendant quelques temps, j’écrivais des vers libres. Ces premiers balbutiements poétiques sont toujours restés au placard. Evidemment, leur maladresse est exemplaire : on ne s’improvise pas poète ! Pourtant ils me tiennent à cœur et je ne les jette pas. Ils sont un peu le blason de mes premières inspirations – dans tous les sens du terme « inspiration ». Je ne me sentais pas « douée » en les composant, mais les relire était pour moi gratifiant car jamais je ne m’étais tant approchée de mes ressentis essentiels. (J’étais pourtant, et suis encore, loin de les cerner au point de pouvoir les écrire de façon satisfaisante).

Mon âme sœur

Enfin, il y a une dernière rencontre, déterminante, donc il faut que je parle. Je me félicite souvent d’avoir créé le blog d’écriture qui l’a rendue possible.

C’est un excellent ami, il est sensiblement plus instruit et âgé que moi, n’a jamais publié de livres et pourtant, il est écrivain. Je veux dire : il a composé des récits qui comptent à mon avis parmi les meilleurs d’aujourd’hui. Et je ne sais trop ce qui l’a mené à s’intéresser à moi, mais depuis des années que nous nous connaissons, je me sens progresser à pas de géant, grâce à lui, en matière d’écriture, de lecture et de réflexion. Il a toujours la critique juste à propos de mes textes et la plupart du temps il m’encourage, beaucoup. Et si bien des écrivains et écrivaillons d’aujourd’hui se revendiquent un « maître » de pensée, pour moi, petite scribouilleuse moderne, rien de tout cela, juste un frère d’écriture, grand et solide, ou une âme sœur des mots qui me tire vers le haut.

Voilà un peu l’histoire de mes rencontres avec l’écriture. Il manque ici la place pour parler des auteurs que j’aime et qui décuplent encore mon envie d’écrire, mais ce n’est que partie remise.

Et l’article n’est pas fini : vos propres témoignages, à vous qui nous lisez sur MoreThanWords, seraient évidemment de nature à le continuer. Qu’est-ce qui vous happe au pays de l’écriture ? Nous vous invitons cette semaine à vous exprimer à ce sujet à notre suite…

Justine Neubach

Retrouvez les mots de Justine Neubach chaque lundi sur morethanwords.fr

Du même auteur :

– « LEITmotIVE » : Vingt petites histoires de marée

– VOIX : ce qui traverse un bon poème


1 commentaire

Rems · 21 décembre 2011 à 14 h 00 min

Je ne pourrais pas dire ce qui m’a donné envie d’écrire. Récemment c’est le plaisir de lire. Lire quelque chose qui me plaît, qui m’émeut, qui me touche. Quand les mots sont bons, ils me donnent des ailes, ils me donnent envie de reproduire d’autres mots pour qu’ils volent à côté d’eux. Ils me donnent envie de les voir battre et de s’accoupler, de s’allier et de se trahir, de converger, de se souvenir et finalement d’accoucher.

C’est étrange que l’envie, le plaisir d’écrire, est si loin de celui de lire. Petit je n’aimais pas lire, on me forçait et détestait ça. Petit j’aimais beaucoup écrire, je me sentais puissant, maître du monde, alors que je ne faisais que reproduire les histoires que j’aimais. Adolescent on me forçait à lire, Hugo Balzac Zola Stendhal, et je ne les supportais. Je ne voulais être influencé par ce qu’ils écrivaient. Je voulais être original, dénudé et vierge, avoir ma voie, même si elle était moins bien.

Jeune adulte je cherchais l’exorcisme. J’étais mal dans ma peau. Trop petit, trop moche, pas assez blanc-blond, pas comme tout le monde. Ca me rebutait. J’étais enfermé sur moi. Le seul moyen de me délier était d’écrire, d’y jeter dans la marre puis de me dérouler comme une spirale, me laisser aller. C’est là que les idées vinrent, les premières nouvelles, fratras de fantasy et de science-fiction. C’est là qu’enfin j’acceptais l’écriture comme une seconde vie, comme les mots qui se dessinent comme les poils sur mon corps.

C’est là aussi que j’appris à lire de la poésie ; Baudelaire et Aragon. Le premier pour son ressenti oppressant ; le second pour son mélange savant entre entre modernité (name-dropping, acceptation du lexique récent, structure expérimentale) et sa sentimentalité courbe et aiguë, perdue, adolescente. Je voulais rendre ça, sous la forme de ces contraintes, de ces tercets et de ces quatrains, de ces alexandrins et de ces hémistiches, la libération d’un coeur.

Aujourd’hui j’écris pas. J’aimerais pourtant, je me pose toujours de question. Sûrement ce fichu besoin de m’exorciser malgré mon âge où je suis censé arrêter de me poser des questions, à mon âge où d’autres ont déjà leur train-train, leur gamin, leurs fins. J’ai toujours les mots qui se baladent devant moi, qui me narguent, mais quelque soit le moment où j’essaie de les prendre, dans le train, chez moi, à la bibliothèque, au café, quelque soit le support, la feuille, le cahier, le traitement de texte, quelque soit l’occasion, l’effort, ils restent hors de portée. Alors j’attends, dans l’espoir que ce soit eux qui veulent bien faire le premier pas.

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