• 4
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Saint Net, priez pour nous! Aujourd’hui, ce n’est plus la frontière des Pyrénées comme le déplorait Pascal qui peut servir de variable de la vérité. Non, aujourd’hui, c’est internet la vérité, c’est internet l’évangile de notre société. Vérité peut-être parce qu’on y trouve de l’information, une forme aussi d’un des sens. Vérité plus probablement  parce que tant de gens qui y sont à se prélasser, s’exciter ou surfer ne peuvent tout de même pas être dans l’erreur. A la base de la vérité moderne, beaucoup de buzz, donc.

Même si, à l’échelle de l’humanité, internet et les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) n’occupent encore qu’une niche, elle ressemble fortement à la mutation d’un gène capital pour l’homme, un gène responsable du développement du cerveau. Plusieurs neurologues le montrent, telle Marianne Wolf ou tel Jean-Philippe Lachaux, l’usage des NTIC n’est pas neutre sur le fonctionnement de notre intellect. Cela a une influence évidente sur notre capacité de recherche de la vérité et sur la perception que nous en avons.

Je clique ou je clique pas ?

Avec internet et les Smartphones, on peut de plus en plus découper notre quotidien et notre raisonnement en autant de micro moments, de flashs instantanés, un peu comme on se pose la question face à un lien hypertexte selon la réflexion très sophistiquée, je clique/je clique pas. Cela induit une accélération des processus de recherche d’information, ou plutôt cela donne la possibilité d’en multiplier le nombre. En soi, cela n’est pas une garantie automatique de rapidité mais plus une accumulation d’éléments rapides. Cette accumulation peut nous donner l’impression de multiplier les recoupements, et donc un accès plus solide à la vérité. En somme, nous appellerions ici vérité notre capacité de toucher à tout.

Ce fractionnement des contacts et la multiplication que nous venons d’évoquer permet donc un fourmillement de contacts en surface : on effleure un site, on pèche des contacts comme certains chalutiers, bref, on se grise de sa puissance, de sa grosse puissance. Ce sentiment de puissance plus virtuelle que réelle amène certains à exhiber leur Smartphone comme certains exhibent une décoration de complaisance : l’un et l’autre doivent se voir, l’un et l’autre témoignent au moins d’une certaine capacité, peut-être superficielle, mais une capacité tout de même de contact, voire de coopération. L’internet actuel serait même coopératif. Ensemble donc, on ne va tout de même pas la rater cette vérité, non ? Le piquant dans l’histoire, c’est qu’elle ressemble à bien des égards au fonctionnement de la démocratie.

A Saint Net, rendons donc ses miracles, d’un coup de clic on contacte la terre, ses chercheurs, ses penseurs et leurs contradicteurs : comment la vérité ne sortirait-elle pas de ces confrontations ? Or, comme le phénomène du buzz le montre  entre écho et miroir, ce qui ressemble à une confrontation de points de vue et de sources documentaires tient en fait davantage du phénomène grégaire et d’attirance de l’image, vous savez, celle qui est sur votre écran et qui vous pousse à cliquer encore cliquer, toujours des petits clics…jusqu’au clic final. Qu’il repose en paix!

Qu’on ne se méprenne pas. Nous ne méprisons pas l’existence d’authentiques chercheurs de vérité comme celle d’authentiques débats et autres forums. Mais pour quelques identités authentiques, combien de personnes n’affichent elles pas courageusement leur pseudo, ce porte voix indispensable pour lâcher sa vérité ? Du coup, comme dans la vie réelle, c’est le bruit, la rumeur qui deviennent vérité au prix d’approximations rationnelles à la petite semaine comme « il n’y a pas de fumée sans feu ». Pas nouveau, ce genre de phénomène a connu grâce à l’amplification du net un regain de vitalité. C’est l’intensité qui donnerait de la crédibilité. Yahoo ne procède pas autrement quand il montre en haut à droite de l’écran le buzz du moment. C’est la vérité du net, ce  qu’il faut savoir, même si cela ne repose pas forcément sur grand-chose. Mais la vérité du net, s’oppose-t-elle à la Vérité ?

Où trouver la vérité ? Sur wikipedia !

Le monde à l'envers : selon wikipedia, la liberté conduit à la vérité. C’est l’exact contraire du postulat selon lequel c’est la vérité qui rend libre.

Creusons. C’est sur cette possibilité de confrontations des points de vue, par écran interposés, sur finalement cette apparence, que le Web 2.0 tire sa popularité et son appellation. Le chantre de ce phénomène est Wikipédia, dieu lare de bien d’internautes et sauveur providentiel pour les élèves en retard dans leur préparation de l’exposé de la veille. En matière de vérité, son postulat personnel est simple : la liberté conduit à la vérité. C’est l’exact contraire du postulat selon lequel c’est la vérité qui rend libre. Cette évidence mérite d’être soulignée.

En bref, n’importe qui peut poster un élément sur l’encyclopédie libre Wikipédia, mais n’importe quel veilleur agréé peut corriger ce qu’il juge une mauvaise copie. En cas de désaccord, c’est la loi du consensus qui prévaut. Est jugée vraie une information faisant l’objet de références externes, c’est à dire recoupée par d’autres sites ; est jugée fausse une information refusée par deux ou trois veilleurs de Wikipédia. En somme, on en parle, c’est vrai. On est plusieurs à le croire, c’est vrai aussi. Voilà de beaux raccourcis propres à sacrifier la vérité. Il faut sans doute alors parler de buzz de la connivence, non ?

Mais quel rapport avec la démocratie, direz vous ?  Si l’on compare des points de vue dotés de connaissances comparables mais diverses, on a plus de chances de trouver la vérité. C’est le propre des revues scientifiques à comité de lecture. Internet n’est pas si sélectif. En démocratie, si l’on associe des points de vue, on passe à une autre notion, celle de justice. Mais on n’est pas sorti de l’orbite de la vérité. Car comment construire une justice qui ne reposerait pas sur la vérité ?

Un des principes actuels de la démocratie suppose que l’addition des opinions est propre à cumuler justice et vérité. Pour des questions simples, cela se comprend. La délibération permet au choix politique de s’exprimer au delà d’une seule logique technique ou mécanique. Pour des questions plus compliquées, l’accumulation de points de vue n’aide pas forcément à y voir plus clair. En fait, plus la puissance de la raison croit, et les NTIC jouent ici un rôle, plus celle-ci doit se référer à autre chose qu’elle même afin de prendre de la hauteur au delà des opinions et intérêts particuliers. Il lui faut atteindre la grammaire commune de la vérité et se perdre dans ses différentes conjugaisons n’aide pas toujours.

Le lien avec la multiplicité des contacts et confrontations sur internet s’impose ici : la multiplicité, pas plus que le buzz, ne sont synonymes de vérité ni de justice. Bien des dictateurs ont été sacrés par les urnes, bien des dieux du net ont surfé sur leur buzz, mais pour quelle vérité, quelle justice?

Le buzz du gender

On peut trouver cela rassurant et inquiétant. Cette analogie entre démocratie et internet sur fond de vérité nous montre le caractère très humain du débat, même s’il s’agit là d’une humanité qui a perdu quelques repères. Prenons ainsi l’exemple du débat sur le gender qui prétend que l’identité sexuelle est le résultat d’une construction sociale et intellectuelle, non celui de notre sexe biologique. Lancé par divers philosophes américains et européens, cette théorie est maintenant enseignée en première dans les lycées français et à l’IEP de Paris. C’est là le résultat d’une forme de démocratie internationale puisque les instances de l’ONU n’ont pas ménagé leur peine pour le diffuser à force de contacts, de colloques et de financements de conférences.

Cette confrontation démocratique repose-t-elle sur un fond de vérité ? La théorie du gender (en français du genre) est en fait une manière de refuser l’existence de son propre corps et de  ses conséquences biologiques et psychologiques sur notre être. Comme l’explique la neurologue Lise Eliot, les neurones des hommes et ceux des femmes ne fonctionnent pas exactement de la même manière : c’est un champ ouvert à la complémentarité, à la reconnaissance de l’altérité. Certes, la société influence le développement de notre identité sexuelle. Pour autant, elle ne la crée pas. Car avant même l’apparition morphologique des organes génitaux, le sexe du zygote est programmé avec son identité masculine ou féminine.

On le voit donc, malgré la confrontation des points de vue, même dans la vie sociale non électronique, les choix politiques peuvent chercher à s’affranchir des réalités physiques qui devraient s’imposer au nom de la nature. De notre nature. Pilotés par nos gènes, les octets ne peuvent pas mieux faire que nous.

Philippe de Casabianca


5 commentaires

Cécile · 20 octobre 2011 à 12 h 27 min

Ah cher Philippe,
c’est toujours un réel plaisir de vous lire, vous avez un sens de la parabole que j’adore !
Mais dites-moi, je viens de vérifier, vous n’avez pas encore répondu à mon sondage ???

Philippe de Casabianca · 20 octobre 2011 à 7 h 46 min

Vous n’êtes pas vieux jeu, meuh non.

A votre soutien, je dirais que l’objectif de l’éducation, c’est de rendre à terme autonomes ses enfants. Pour moi dès lors, Wikipédia, c’est leur donner un poisson. Il est bon? Mais puisque je te le dis et que les autres le disent… Mais Wikipédia, c’est pas leur apprendre à pêcher.

CQFD, non?

Cécile · 19 octobre 2011 à 13 h 19 min

Article très riche comme toujours !
Rebondissons donc sur le phénomène Wikipédia : la bible quand on cherche quelque chose, c’est tellement facile de taper quelques mots clés et de s’arrêter là-dessus. Wikipédia est un encyclopédie, je peux avoir confiance et tout prendre pour argent comptant… Vous allez dire que je suis vieux jeu mais ça va être beau pour nos enfants s’ils ne se fient qu’à ça…
Dès que j’ai un peu de temps, je continue à commenter votre article bien entendu !

Wikipédia: la vérité si je mens ou si je buzze? | Casabianca · 13 janvier 2014 à 17 h 59 min

[…] la suite sur More Than Words, le blog de Denis […]

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.