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Les Nouvelles Technologies impressionnent par leur puissance de calcul et leur capacité de mobilisation de ressources et d’information. C’est probablement au moins la marque de la diffusion de l’ordinateur qui « n’est pas une machine à écrire qui envoie des télégrammes ou présente joliment un programme de colloque. C’est une logistique puissante de traitement informationnel, de management de l’information et de la connaissance, de veille scientifique, technologique, concurrentielle, stratégique… » A l’échelle de l’humanité, un tel concentré est évidemment récent et fera probablement date. Leurs diffusions tous azimuts l’attestent déjà.

Pour autant, la question des Nouvelles Technologies s’inscrit dans le débat plus large de la technique et du développement de la science. Comme l’explique Gérard Chazal, certes, on trouve bien des esprits pour ne plus croire que « le progrès technique entraîne automatiquement le bien être matériel et le progrès de l’humanité. » Mais alors, « certains cultivent la nostalgie d’un monde moins technicisé, oubliant d’ailleurs souvent quelles furent les conditions de vie difficiles des ancêtres ».
Car en effet, avec les Nouvelles Technologies, l’homme devient encore plus capable de faire fructifier ses propres atouts,  moyen d’assurer davantage sa domination sur le monde extérieur,  mais aussi d’approfondir une certaine vérité scientifique, qui reste encore complexe.

Les Nouvelles Technologies donnent à l’Homme les moyens de développer ses propres richesses intérieures.

la multiplication des zéros dans le langage informatique est à l'origine du monde d'aujourd'hui

L’Homme a tellement employé au cours de son histoire le mot nouveau que celui-ci en est devenu quelque peu suspect. Avec un peu de recul, il est aisé de considérer cette nouveauté comme relative et valant bien évidemment pour le passé. Qu’en est-il pour les Nouvelles Technologies ? Comme pour toute technologie, les produits auxquels nous faisons ici référence permettent à l’Homme de s’extraire de la seule contingence physique pour mettre davantage en œuvre son intelligence et occuper son temps disponible plus intensément. Passer d’une paire de ciseaux à une tondeuse électrique permet probablement d’avoir un autre regard sur le jardinage et sa famille qui y gambade.
Ce phénomène n’est évidemment pas propre à notre époque ni à l’objet de notre analyse. En revanche, il semble que la nouveauté se manifeste dans le saut d’intensité que les Nouvelles Technologies permettent : la quantité d’information condensée, connectée et immédiatement disponible dans ces produits maximise les facultés et donne un stimulus jusque là inconnu. Parce que davantage d’intelligence est mise à disposition, il est aussi possible de faire fructifier encore davantage d’intelligence. Pour David Shenk, la nouveauté se trouve dans la quantité d’information mise à disposition : « au milieu du XXe siècle, on a commencé à produire de l’information plus rapidement qu’on ne peut la digérer. Jamais cela ne s’était produit auparavant ».

Pour s’en convaincre, prenons-le raccourci du zéro : son invention par les Grecs leur a donné une intelligence mathématique absente chez d’autres. Considérons alors la multiplication des zéros dans le langage informatique ! C’est bien entendu une métaphore mais elle illustre le fait que l’ouverture de l’esprit grâce à l’ajout de connaissance, à la concentration du savoir crée un puits sans fond que l’intelligence est a priori amenée à explorer pour aller plus loin. C’est en tout cas le concept des promoteurs des Nouvelles Technologies.

Le développement de la connaissance humaine

Avez-vous assez de mémoire ?

Les Nouvelles Technologies permettent une meilleure conservation de l’information et donc une mise à disposition d’autrui de celle-ci plus efficace.
Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), une composante majeure de ces outils, permettent à la connaissance de s’extraire des contingences humaines de transmission des savoirs. Tout défaut n’est pas gommé, mais les capacités de stockage, de numérisation, de synthèse et de comparaison de l’information permettent de gérer des défauts dus à l’oubli, à la subjectivité ou à l’éloignement tant géographique que temporel des émetteurs de savoir. A la clé, un fréquent gain de temps.
La connaissance n’est pas supposée avoir de dates limites de consommation et pourtant comme une connaissance, peut, en cas de conflit, de concurrence, chasser l’autre, ici aussi, le concept de date limite de consommation a son sens. On sait, par exemple, depuis longtemps que la saignée n’améliore pas le tonus des malades. On ne la pratique donc plus. Et il a fallu certaines expériences malheureuses de navigateurs au grand large pour forcer les marins à avoir une alimentation équilibrée afin d’éviter le scorbut. On le savait pourtant déjà mais cela s’était oublié. Avec les NTIC et par exemple les réseaux d’information comme internet, les expériences passées se stockent et se partagent avec très peu de limites. Pas a priori de problème de date limite de consommation ici  à propos de l’information bien conservée.
L’Histoire en devient ainsi davantage source d’enseignement et d’entretien du patrimoine de nos expériences.

Cette mise à disposition de davantage de savoirs déclenche une stimulation sans fin.

Thomas d'Aquin, Santa Maria Novella à Florence

La soif de savoir s’étanche d’autant moins qu’on y répond. Une fois éveillée, la curiosité se nourrit des réponses qu’on y apporte et c’est une forme de positive boîte de Pandore qu’on ouvre ainsi. La numérisation de l’information via les NTIC permet à la fois son transfert avec un minimum de restrictions physiques mais surtout permet d’établir des connections entre différents éléments, entre différents supports et entre différents thèmes. L’association de différentes connaissances s’avère être un vecteur capable de favoriser la synthèse et donc l’éveil de l’intelligence. Même si on ne peut tout savoir et qu’on en est conscient, le simple fait de croire qu’on peut partager des connaissances est une stimulation favorisée par les NTIC.
On est ici pas très loin de la phrase de Saint Thomas d’Aquin qui déclarait que « la connaissance de foi n’apaise pas le désir mais l’accentue puisque chacun désire voir ce qu’il croit ». Notre théologien ne parlait certes pas pour les NTIC mais il décrit bien le phénomène auto entraînant des connaissances associées à la conviction. Internet s’inscrit ainsi dans cette tendance : ce n’est pas seulement un univers de câbles téléphoniques, d’ordinateurs, d’octets et de stockage d’information. C’est aussi un ensemble de personnes qui y croient et qui annoncent ses futurs développement parce qu’ils y ont intérêt ou par simple foi. Il s’agit aussi d’un phénomène de valorisation des talents par la conviction. C’est aussi une forme de pédagogie pour ceux qui ont réussi parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible.
La maîtrise de connaissances de base et des outils qui les véhiculent pousse ainsi à aller plus loin. Comme l’explique Samuel Joshua, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Provence, à propos des Nouvelles Technologies éducatives, « la démocratisation de l’accès aux calculatrices de poche est en train de bouleverser la nature de certaines activités mathématiques ». On ne demande plus seulement aux enfants de savoir compter mais en effet bien plus encore de justifier leurs raisonnements: une forme de progrès donc si, bien entendu, les bases ont été auparavant assimilées ; les Nouvelles Technologies ne sont en effet pas un talisman.

L’ouverture à l’abstraction via le virtuel

Comme on ne peut expérimenter toutes les informations, -c’est là un phénomène bien antérieur aux Nouvelles Technologies-, une capacité d’abstraction est indispensable pour faire progresser son intelligence. Ainsi que l’explique Einstein, « les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain et ne sont pas déterminés par le monde extérieur ».
La capacité d’extraction du monde physique par les Nouvelles Technologies, leur capacité donc à créer des mondes artificiels, des mondes virtuels permet de valider par l’intelligence et non par l’expérience des concepts. Le virtuel, en ce sens qu’il désigne un futur aléatoire, un présent ailleurs ou un présent spirituel est donc un champ d’expérimentation et de développement de l’intelligence rendu possible par le concentré de connaissance des Nouvelles Technologies. Les modélisations et les simulations informatiques permettent des progrès, permettent de mettre en chantier des idées auxquelles on n’aurait jamais eu accès s’il avait fallu attendre de les expérimenter. Cette situation n’est pas cependant propre aux NTIC comme le montrent les réflexions mathématiques de l’antiquité. Mais les NTIC ont pu favoriser une accélération des capacités d’abstraction et des applications qui en découlent. Le cas de la fusion thermonucléaire en apporte un exemple heureusement évident.

Les Nouvelles Technologies offrent une extériorisation de nos compétences pour élargir notre avenir.

Tout comme leurs devancières, les Nouvelles Technologies jettent un pont entre l’intériorité de l’Homme et son environnement extérieur. Il s’agit sans doute d’intensifier les connections de son intelligence, mais bien plus encore de les orienter vers un résultat concret ou en tout cas visible. Il y a donc ici, l’intelligence en main,  un exercice d’affirmation de soi et un refus du fatalisme face à un destin ou à notre environnement. Les Nouvelles Technologies permettent ainsi à l’Homme d’être davantage Homme en ce sens où les possibilités de mémorisation et de partage des connaissances favorisées par elles font de chaque progrès individuel une partie versable dans le patrimoine commun de l’intelligence collective.

La domination de la nature par l’Homme

Platon et Aristote dans l'Ecole d'Athènes de Raffaello (Vatican)

Quand l’Homme s’extrait des contingences de son existence physique, il domine sa nature et, comme on l’a vu, les Nouvelles Technologies peuvent y contribuer.
En bonnes héritières de la recherche scientifique, elles peuvent aller plus loin en aidant l’Homme à dominer la nature en tant que telle. Le cumul de connaissance et d’intelligence permet d’élaborer des outils, des objets qui dominent la matière et illustrent la puissance de ces combinaisons. Comme l’explique Bertrand Souchard, certes, « l’esprit ne laisse pas toujours de traces dans la matière », mais, « si l’animal peut utiliser des outils, seul l’homme fabrique des outils pour fabriquer d’autres outils ». La domination par l’Homme de la nature exige donc un concentré d’intelligence, de connaissance et d’abstraction où les Nouvelles Technologies sont reines, précisément en raison de leur capacité à faire cohabiter beaucoup de savoirs en peu ou pas d’espace physique.
L’imagerie médicale apporte un intéressant exemple. Croisement, cohabitation de différentes disciplines comme la radiologie, la photo, l’acoustique, elle permet à la médecine d’anticiper et de guérir les troubles de la nature. C’est un exemple typique de concentration de l’information favorisée par les NTIC.

C’est d’ailleurs ici que l’on retrouve les bienfaits d’une certaine abstraction à la base de la recherche scientifique, mère des technologies. Pour Bertrand Souchard, si la science résolument moderne a émergé dans l’occident judéo-chrétien, c’est en raison de la théologie de la création qui désacralise la nature et pose sa rationalité. Cette théologie est d’abord un raisonnement qui jette un regard sur le réel. En soi, ce n’est pas toujours une expérimentation directe. Mieux encore, l’incarnation de Jésus, du Ciel sur la Terre (les hommes) donne à la matière sa dignité et montre que la présence sensible de l’humanité ne détériore pas la divinité. Il est donc possible, les pieds sur terre, de penser au ciel et de combiner foi et raison.

Cette force de l’abstraction permise par les Nouvelles Technologies est capitale. Car comme l’explique Pierre Duhem, « c’est l’interprétation théorique qui permet à l’expérimentation scientifique de pénétrer bien plus en avant que le sens commun dans l’analyse détaillée des phénomènes» .
Les Grecs n’avaient pas de tels raisonnements. Que l’on songe à Prométhée condamné pour avoir désacralisé le mystère du feu. Dans la théologie païenne, les lois mathématiques n’étaient envisageables que là où il n’y a pas de matière (le ciel), d’où par exemple l’importance des connaissances grecques sur les étoiles. Faute d’accorder toute leur foi à la recherche abstraite, des peuples comme les Grecs ont certes eu de bonnes technologies, de solides penseurs, mais ont relativement peu fait progresser les technologies qu’ils maîtrisaient déjà bien par habitude comme la navigation côtière. Question d’époque aussi : il serait difficile de voir dans ces technologies le concentré de savoirs que nous connaissons maintenant.
La conjonction du grand spectacle des techniques et des sports de l’extrême apporte un exemple intéressant. Via des prototypes comme ceux de la formule 1, de l’aviation ou des voyages spatiaux, les Nouvelles Technologies ont commencé par fabriquer des objets uniques. C’est la part du rêve, du ciel et des nuages. Il est fréquent que l’on passe ensuite à une phase de popularisation des prototypes, d’une mise à disposition de ces produits pour le grand public via une production de masse. C’est la part du rêve, peut être un peu dégradé, mais bien devenu réalité. C’est la part de l’Homme les pieds sur terre.

Capitaliser sur le collectif de nos expériences

La mise en commun d’expériences est, on l’a vu, bien antérieure à la diffusion des Nouvelles Technologies. Les encyclopédistes sont en effet passés par là.  Mais le rythme actuel est d’une autre ampleur.
En stockant les expériences d’autres que nous via des NTIC ou via des outils qui les véhiculent, on peut faire nôtres ces expériences. C’est ici une façon de montrer la valeur d’échange que revendiquent les NTIC. Internet a pour cela une expression, le web 2.0 ou le web participatif. Chacun est censé y être acteur. Ce collectif d’expériences permet de relativiser notre propre cas et de s’extraire d’éventuelles pensées à la mode pas toujours fécondes. Car si le réseau de l’information nous met certes à leur contact, la possibilité de varier les points de vue offre du recul.
La domination de la nature prend alors une tournure potentiellement équilibrante grâce à cette capitalisation collective d’expérience : le partage d’information et l’esprit de synthèse que permettent les NTIC nous donnent par exemple l’occasion de réfléchir, de saisir que le retour à la nature, censée plus pure, car dénuée des technologies trop humaines, n’est pas l’Eden de Rousseau mais bien l’état de la loi du plus fort. L’apport d’autres expériences échangées par les NTIC permet aussi de bien comprendre que dominer la nature pour dominer n’a pas de sens car l’homme se réalise dans l’extériorisation de ses expériences et dans le don de soi.

San Matteo, Michelangelo, La Galleria dell'Accademia, Florence. Saint-Mathieu est-il libre ou prisonnier de la matière ? Le techno est-il libre ou prisonnier des nouvelles technologies ?

Autrement dit, il n’y a de bien pour l’homme que lorsqu’il décide de se donner à autrui, la Nature comprise. C’est là un patrimoine qui se crée et s’entretient. Mais ce don n’est pas abandon ! Les Nouvelles Technologies, par leur culte de l’échange y contribuent. Un peu de réflexion nous fait aussi observer que réciproquement un amour immodéré de la nature cache une haine des hommes… Mais c’est là un tout autre débat.
Grâce aux Nouvelles Technologies, on peut se trouver, face à la Nature ou à d’autres contingences, à d’autres pressions sociales, en présence d’un « nouvel espace de liberté ». Comme le relève Christophe Geoffroy, l’internet permet en effet une mobilisation politique à peu de frais mais capable de défendre son point de vue face à une cohorte de média allant dans le même sens.

L’isolement d’individus qui ne se retrouvent pas forcément dans les opinions publiques n’est pas une fatalité : les NTIC permettent d’agréger des individus et de regrouper ces nomades en communautés avec leurs codes comme le monde de l’internet aime à s’en faire l’écho via les blogs et autres fora. Dans le même genre  d’autonomisation, on peut relever que grâce à l’internet, des artistes musicaux peuvent commencer par se faire connaître à moindre frais, libérés de certaines des contraintes physiques de l’édition et davantage en prise avec leurs publics via les sites et autres courriers électroniques.

On le voit donc, ce nouvel espace de liberté est censé mieux faire cohabiter patrimoine commun de connaissances et une certaine autonomisation de l’individu. Pour Monique Linard, avec les NTIC, « la capacité d’intégrer le changement par une action relativement autonome devient un critère central d’efficacité aussi bien pour les individus que pour les groupes sociaux ». La dynamique des Nouvelles Technologies est en effet celle d’une performance à améliorer, ce qui implique une spirale du changement et une nécessaire adaptation des utilisateurs.

Une planification des processus en vue d’une meilleure performance

La nature des Nouvelles Technologies permet une optimisation des processus en limitant les risques d’erreur lors des répétitions des tâches. Une fois stockée, l’information ne perd pas, en soi,  de fraîcheur par rapport à l’usage auquel elle est destinée. L’information ne perd en fait de sa fraîcheur qu’en cas d’arrivée d’une autre information qui infirme celle jusque là considérée comme pertinente.
L’assimilation de l’information à une marchandise quasi physique permet une systématisation des phénomènes et processus de production comme d’usage en fonction d’un scénario écrit par l’Homme. L’usage d’un agenda électronique avec rappels automatiques permet ainsi au distrait de ne pas oublier ses rendez vous. L’insertion de calculs automatiques dans des tableurs permet une comptabilité plus rapide et en relation avec les autres départements d’une entreprise.
L’Homme est ainsi capable de gagner en qualité de vie. La planification de processus lui permet en effet de dégager du temps pour d’autres activités ou sources d’épanouissement. Et c’est ainsi que l’Homme se projette en avant comme anticipant son futur proche. Bergson ne disait-il pas que « toute action est un empiètement sur l’avenir » ? C’est que l’Homme aime se projeter vers l’avenir. Il est logique qu’il s’en donne les moyens, qu’il avance même si cela peut altérer son présent.

Mais les Nouvelles Technologies favorisent un rapport complexe avec la vérité scientifique

Il est sans doute utile d’introduire une distinction entre les Nouvelles Technologies destinées au dialogue en réseau et celles conçues pour l’usage de son propriétaire sans que ce dernier n’intervienne avec d’autres homologues, avec d’autres hommes. Les Nouvelles Technologies sont bien multiformes. Dans le cas des jeux vidéo par exemple, on fera la distinction entre les programmes de réseaux et les supports où l’Homme ne joue que contre la machine.
Cette distinction a bien évidemment des conséquences en termes de relations humaines. Elle permet aussi de mieux comprendre le jeu de balancier entre des notions contradictoires que connaissent les Nouvelles Technologies. Il y a ici une interactivité induite par les Nouvelles Technologies que l’on connait déjà avec les relations humaines. Cette caractéristique, ici systématisée, se mêle au phénomène de convergence, de généralisation des réflexes, à force d’employer les mêmes outils. La sorte de jeu de question/réponses dû au phénomène d’interactivité multiplie les confrontations avec une réalité, l’objectif étant d’aboutir à une réponse valide. Ce qui compte donc, c’est davantage l’existence d’une réponse que la vérité, ou l’écho plus que la beauté du son lui-même.
Cela n’empêche pas l’élargissement des horizons dont il est ici question, mais cela peut contribuer à le fragiliser. Les Nouvelles Technologies ont en effet parfois un rapport quelque peu ambivalent avec la recherche scientifique qui avait présidé à leur éclosion.

Les jeux de la mesure rationnelle et de la perception émotionnelle

On a vu que la mise en commun d’information via les NTIC permettait de limiter les risques du subjectivisme et d’aller par là à davantage de rationalité.
Mais la mise en réseau de ces informations ne saurait oublier l’impact du support et la charge émotionnelle qu’il véhicule par lui même. Les Nouvelles Technologies impliquent d’une manière ou d’une autre une approche des sens de l’Homme. Pour transmettre leurs informations, elles emploient des techniques de visualisation. Pour le cerveau d’ailleurs, les messages transmis sont d’abord des images qu’il décode en tant que telles. C’est particulièrement vrai, mais notre esprit n’en est pas toujours conscient, lors de la lecture d’un texte sur l’écran d’un ordinateur. «Sur un écran, on perçoit la page ou plutôt la surface de l’écran, d’une manière globale. On survole le texte plus qu’on ne le lit réellement mot à mot… Dans un premier temps, la majorité des internautes ne lisent pas, ils photographient».

Ces signaux ne sont donc pas exactement les mêmes que ceux décodés lors de la lecture d’un simple document papier : la distance n’est pas identique, cela donne au cerveau d’autres occasions de fonctionner, de communiquer et d’assimiler. Passant par l’image, la technologie prend aussi beaucoup appui sur la charge émotionnelle même si on prend pour décrire ces phénomènes un discours physique comme le concept de l’ergonomie visuelle le montre. Ce concept d’ergonomie valorise la notion de confort, ce qui peut en fait prendre en compte aussi la gestion des émotions.
Ce recours à l’émotionnel se trouve aussi bien dans les supports sans réseau que ceux avec réseau. Mais l’impact est différent. Dans le cas d’un outil sans réseau, c’est-à-dire sans possibilité de dialoguer avec d’autres bipèdes proches de nos caractéristiques, la charge émotionnelle a déjà été transmise lors de l’achat. Ils s‘agit là tout simplement de packaging, d’emballage, les Nouvelles Technologies n’en étant pas fondamentalement à l’origine mais jouant un rôle facilitateur. Il est en effet plus facile de manier les pixels que les pigments pour réaliser une belle image trônant sur un bel emballage.
Dans le cas d’un outil en réseau, la recherche de l’émotion sera continuelle, évolutive et polymorphe. C’est bien davantage l’essence même des Nouvelles Technologies à cet endroit. Pour s’en convaincre, observons que la graphie des messages électroniques, comme les points d’exclamation, a un effet de choc bien plus fort que s’il est exprimé lors d’un contact physique direct. Car ici le mot devient image et quand on sait qu’une image vaut mille mots… De la rationalité d’une volonté de mobiliser son intelligence, on passe donc vite au jeu conscient ou pas de l’émotion par images interposées. Les cartes de l’intelligence en viennent à se brouiller quelque peu et à perdre leurs atouts.

Le balancier entre réalité, vérité et falsification

Le buzz (anglicisme de bourdonnement). Illustration du livre de Monica O'Brien sur les réseaux sociaux : "Pollinisation Sociale", les éditions Diateno

Les échanges d’information que facilitent les Nouvelles Technologies permettent de contribuer à la confrontation de points de vue et peuvent aider à extraire d’une collection d’expérience une vérité.
Comme l’explique Bertrand Souchard, « la vérité suppose une raison active qui dialogue avec la réalité. On n’a jamais fini d’approfondir ce que l’on sait ou croit savoir ». Les jeux de la rationalité et de l’émotion, s’ils étendent les modes de communication et d’apprentissage, notamment grâce à l’interactivité, ne permettent pas toujours cette quête de vérité.

Comme le montre le phénomène du « buzz » sur internet, cette diffusion d’une information originale, d’une rumeur, ce qui compte c’est le consensus du moment, la vérité du moment, la scorie d’une comète pourrait-on dire. A partir du moment où des internautes réagissent au buzz, ils contribuent à la valider, à la faire exister. Il s’agit là d’un pouvoir de création mais aussi de manipulation. L’échange sur internet se paramètre d’abord en vue de favoriser des confirmations des informations transmises. C’est là une grande utilité dans le sens où une information est jugée populaire si elle profite à la communauté, c’est-à-dire si elle peut être reprise par d’autres sites internet.
Mais c’est là également sa limite car la science procède d’une démarche plus ample. Elle progresse aussi beaucoup par infirmation d’une théorie, d’un concept, donc par phénomène de falsification, histoire d’emprunter ensuite un autre axe de recherche. Il ne s’agit pas ici d’une forme de relativisme scientifique à la chinoise où le vrai ne serait qu’équivalence du faux. Il s’agit de donner à une théorie toute sa chance intellectuelle, même si elle s’avère par la suite fausse. L’intérêt est d’avoir exploré le potentiel de réflexion, éventuellement pour aller ailleurs. Or, internet n’est pas à l’aise avec ce genre de démarche.

certains réseaux internet valorisent même la valeur de leurs membres au nombre d’ami

Cela ne veut pas dire qu’internet s’oppose à ce genre de pratiques liées au phénomène de la falsification, mais il n’y va pas naturellement, plus occupé qu’il est à produire un message instantané de validation, le résultat d’une réflexion et non une réflexion elle-même. L’erreur n’est pas valorisée par internet comme elle l’est sur d’autres supports.
Comme l’explique Patrick Brunet, directeur du département de communication de l’université d’Ottawa, « le numérique évince l’erreur, la faute, la chute ou bien s’il y a faute, il est possible de l’évincer totalement comme si elle n’avait pas existé. Le papier laisse des traces, l’encre ne s’évapore guère ou si elle le fait, le temps aura été le témoin. Naviguer sur internet, c’est vivre le leurre de la puissances défiant le temps et l’espace ». En somme, ces Nouvelles Technologies ratent le coche d’une certaine pédagogie en omettant de valoriser le rôle formateur de l’erreur.

Le yo-yo entre échange et usage : le combat des valeurs.

Ainsi qu’on l’a déjà expliqué, la valeur fondamentale officielle des NTIC en réseau est actuellement d’abord l’échange. « L’utopie du web, c’est le partage, pas le cartésianisme ». Il est à cet égard intéressant de noter qu’au terme de dialogue, on substitue ici le terme d’interactivité, une vision beaucoup plus mécanique. Ce n’est bien souvent que dans le descriptif de logiciels qu’on entend parler de boîtes de dialogue, caricatures en réalité du dialogue humain.
Tout cela procède de la première volonté de s’extraire des contingences physiques et de la distance. Mais certains réseaux internet valorisent même la valeur de leurs membres au nombre d’amis, au nombre de relations, au nombre de fans, autant de pourvoyeurs possibles d’échanges.

Cette vision néglige en fait que cet échange n’est en réalité motivé à l’origine que par la transmission de données utiles. La valeur d’usage a donc par la suite en grande partie disparu au profit du concept du réseau. Les deux valeurs ne sont certes pas antagonistes. Mais la récente prééminence de la valeur d’échange n’est pas anodine. On peut la voir comme le moyen de justifier le réseau pour le réseau, un peu comme une société s’auto justifie.
L’exemple des sites qui affichent le nombre de visites ou de téléchargements participe de cette ambivalence entre valeur d’échange et valeur d’usage. Est-ce un bon site parce que beaucoup d’internautes y ont échangé, atterri ou parce qu’ils y ont puisé des informations ? C’est comme le vu à la télé… On ne sait pas mais l’air de déjà vu rassure. Tant de personnes ne peuvent tout de même pas se tromper…

Philippe de Casabianca

En complèment de cet article, lisez aussi Mark Zuckerberg serait-il plus visionnaire que Léonard de Vinci ?

 


4 commentaires

Philippe de Casabianca · 4 octobre 2011 à 7 h 07 min

Mais attention, j’ai abandonné la taille de la pierre pour écrire mes pamphlets…. La preuve, je sais aussi tisser ma toile : viadeo.com/hub/forums/detaildiscussion/

Cécile · 3 octobre 2011 à 14 h 03 min

Tout à fait d’accord, même si l’article est un peu long, il est passionnant et mérite vraiment d’être lu jusqu’à la fin. Merci Philippe et bravo !

Philippe de Casabianca · 3 octobre 2011 à 13 h 21 min

Damned, j’ai été démasqué…

Oui, c’est vrai, ce dossier n’a pas été fait pour le web. Bien des autres sur More Than Words si.

Denis Gentile · 3 octobre 2011 à 13 h 18 min

J’ai rarement lu un article aussi exhaustif.

Philippe me fait penser à l’un des auteurs cités dans son article : Thomas d’Aquin.

Même s’il est originaire de la région de Rome (Latium), Thomas d’Aquin a enseigné à la Sorbonne. Pour chaque argument, philosophie ou théologique, il fait le tour du problème qu’il divise en questions puis en articles. Chaque article exposant les objections, les réponses aux objections et les solutions.

La méthode de Philippe de Casabianca est similaire. Sa série d’articles sur les nouvelles technologies donne un panorama complet de la situation.

Bien sûr, quand on essaie d’être complet et d’aller au fond des questions, c’est souvent un peu long. Ce n’est donc pas forcément très ‘web’. Faites un effort, accrochez-vous, allez au bout, parce que ça vaut vraiment le coup !

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