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La connaissance de l’art nécessite-t-elle d’étudier la biographie, le catalogue raisonné des artistes, l’époque à laquelle ils appartiennent, les influences, les sources, les écrits, la fortune critique ? Un travail certes essentiel et incontournable pour un historien, mais oh combien rébarbatif pour le public.

Les expositions et les musées interpellent d’emblée le visiteur qui est invité à lire les explications placées en introduction sur les murs de l’exposition ou lui proposent un audio-guide dont l’écoute le limitera dans son appréciation personnelle et dans l’expression de ses émotions. Quel temps réel accordera-t-il à l’œuvre elle-même ? Ses autres sens sont au repos et son intelligence ou son esprit critique sont annihilés car on lui a dit « l’art est sacré…cet artiste est reconnu…c’est un grand peintre…une exposition magnifique…»

On peut entrer dans l’intimité des œuvres en lisant sa carte d’identité : son attribution, la date de sa création, son titre, sa technique, l’historique de l’œuvre, sa localisation, son état de conservation, de restauration… Où se trouve la liberté du spectateur pour apprécier l’œuvre et se l’approprier ? Sa seule sauvegarde est celle que l’on entend le plus souvent de la part du public : « j’aime ou je n’aime pas »

L’œuvre d’art est faite pour celui qui la regarde, sans lui elle ne peut exister ; c’est une œuvre ouverte, interactive que le spectateur peut interpréter et comprendre avec son histoire à lui, ses références personnelles, sa culture, ses émotions esthétiques.

Pourquoi ne pas lui proposer simplement quelques outils de lecture ? L’aider à entrer dans l’œuvre et l’investir, l’inviter au questionnement.

Des outils de lecture

Pour éviter une incompréhension totale du travail de l’artiste et respecter aussi la liberté du spectateur, il faut à ce dernier une base méthodologique claire ; ce qu’a très bien explicité, dans ses écrits – Du Spirituel dans l’art et dans la peinture en particulierKandinsky, théoricien, philosophe et surtout peintre abstrait du siècle dernier.

Comme la littérature, les rimes et les mots d’un poème ou d’un récit, comme la musique avec ses notes et ses rythmes, l’œuvre d’art possède un langage, elle utilise des moyens qu’elle dissimule. Apprendre à les lire, c’est apprendre à regarder et cela exige du temps. Kandinsky demande à son spectateur d’être un lecteur attentif et méritant. Il remarque que les tableaux de Rembrandt «duraient longtemps», la question du temps de lecture de l’espace peint se pose : entrer dans le monde intérieur d’un artiste n’est pas chose aisée. En franchir le seuil nécessite une disposition d’esprit, une ouverture, une réceptivité que ne permet pas toujours la présence de la foule qui se presse aux expositions.

Face à la création artistique : comprendre

Chercher la signification des formes, celle voulue par l’artiste, y ajouter l’interprétation libre du spectateur est un exercice dont les limites dépendent de l’époque à laquelle nous regardons l’œuvre. Deux théories s’opposent: ne pas l’enfermer dans un réseau de significations étrangères à son époque ou au contraire l’enrichir des connaissances actuelles.
La problématique, dans les deux cas, reste la même : comment enrichir ou réduire une œuvre, la perdre ou la ressusciter. Chacun en jugera ; on connaît les querelles d’expert sur les restaurations !

Il faut refuser « il n’y a rien à comprendre en art car il s’adresse aux sentiments !» Alors l’intuition l’emporte sur l’esprit d’analyse et la connaissance que l’on peut avoir de l’œuvre reste superficielle. Le but est plutôt de conserver l’émotion intacte tout en lui permettant d’aller au-delà de son premier plaisir, ce qui permet de découvrir les motifs distinguant un chef d’œuvre d’une production médiocre.

L’analyse, si brillante soit -elle, du démontage thématique, détourne l’attention que l’on peut porter à la forme et au style qui font aussi la grandeur du tableau. « Se rappeler qu’un tableau avant d’être cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs dans un certain ordre assemblées » écrit le peintre Maurice Denis.

Platon dans le mythe de la caverne affirme : « Je veux envisager de parler de la beauté des formes et je n’entends pas par-là, comme on pourrait le croire, les formes des figures vivantes ou leur imitation en peinture mais les droites et les formes qui en naissent au moyen du tour, de la règle, du carré…belles éternellement de par leur nature même, les couleurs peuvent donner un plaisir similaire »

Les trois lectures de base

La lecture plastique s’impose souvent la première, l’œil est attiré par le dessin, les couleurs, la composition, le style.

Les formes reconnues, la lecture historique interpelle le spectateur qui, s’il n’a pas reconnu le sujet de l’œuvre, s’enquiert de son titre, souvent descriptif pour les plus traditionnelles, indiquant une piste de réflexion pour les autres. L’art contemporain nous a initié aux Sans titre et ainsi brouillé les pistes ce qui laisse la plus grande place à une lecture interactive de l’œuvre.

La troisième lecture, sorte de parcours initiatique, approfondit les deux précédentes et interroge le sens, la philosophie, la métaphysique, la morale. Le message délivré par l’artiste se trouve dans cette dernière analyse qui permet de pénétrer dans l’intimité de l’œuvre. « Ce que l’on voile a une énorme puissance en Art, il est un enrichissement des moyens d’expression » précise Kandinsky qui a beaucoup usé de métaphores, ce qui le rend aux yeux de certains totalement hermétique.

Ici se situe la première rencontre entre l’individu et l’universel, entre l’artiste et son spectateur, le premier invitant le second à pénétrer dans sa maison, dans son univers, à se promener dans son tableau, à se fondre en lui en s’oubliant lui-même.

Là se mêlent poésie et philosophie, là se cachent la sensibilité, l’intériorité, la réalité émotive de l’être, ce que Kandinsky nomme la nécessité intérieure.

Liliane Collignon

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Liliane Collignon

Historienne de l'art et conférencière : formation classique et universitaire Spécialisation : art moderne et contemporain Sujet de Maîtrise : Kandinsky : Les Années parisiennes, la Fête intime Sujet de thèse doctorale : Du Spirituel dans l'Art et dans la peinture contemporaine en particulier

1 commentaire

jean-luc Mercier · 9 août 2011 à 7 h 06 min

Une réflexion qui pourrait aussi s’appliquer à l’observation de la nature !!! Mais, Art et Nature… nous savons quels liens les unissent. Voilà une approche, en tout cas, des plus intéressantes. Bravo à l’auteur.

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