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Il était une fois un jeune blogueur… de bonne humeur.
Community Manager aussi à ses heures perdues journalières car son terrain d’action, c’est justement le web. Il serait plus précis de dire la blogosphère et les réseaux sociaux. Il y trouve de la lecture, des sujets de conversation, l’inspiration pour un nouvel article et surtout d’autres personnes avec qui échanger.
Il y trouve encore des fenêtres pour observer d’autres horizons. Des vues différentes de celles qu’on lui propose sur les écrans télés et les journaux en papier. Et quand un blogueur reproduit le même contenu que ces vieux médias, alors il ferme le rideau et en ouvre un autre, moins répétitif, plus étonnant.
Ce jeune blogueur, certains d’entre vous le connaissent déjà. J’ai publié et co-écrit deux articles avec lui. Il s’appelle Thomas Redworn. Un québécois qui me fait danser à chaque fois qu’il prononce une phrase. Et cette bonne humeur on a forcément envie de la transmettre. Ce matin au téléphone, j’ai lui ai posé la question évidente et banale : « Mais quel est donc ton secret ? »
Heureusement sa réponse a été moins évidente et banale.
« Tu vois Denis, il faut s’entourer de merveilleux et ça commence par l’endroit où tu passes le plus de temps. Cet endroit, c’est mon bureau. C’est là que j’écris. On devrait tous avoir des notions d’architecture d’intérieur. Ecrire, c’est puiser en soi des ressources infinies, des matières premières que l’on transformera en mots, puis en phrases, puis en histoires. C’est comme fabriquer une chemise avec du coton de qualité (1) ou mettre en bouteille un vin issu d’un bon raisin. Et pour cela tu dois te mettre dans les meilleures dispositions. Il faut le climat idéal pour permettre la culture du coton et la croissance de la vigne. Et pour moi qui écrit, ce climat idéal c’est la décoration de mon bureau. Je ne pourrais pas m’atteler à mes textes si j’étais dans les cloisons d’une entreprise. Etre free-lance, ça change tout. »
« Tu vois Thomas, j’ai fait la même chose. Par exemple, il y a ma bibliothèque. Il y a là tous les livres qui ont provoqué en moi l’étonnement. Tu les connais, je ne vais pas en faire la liste. Mais je peux dire ce qu’il n’y a pas ou presque pas. Ce sont des livres sur mon métier. J’évite de lire des trucs sur le Blogging, le Community Management ou le Storytelling. Ce que je sais sur ces disciplines, je le trouve dans des biographies d’artistes, de philosophes ou de personnalités historiques, je le trouve dans mes romans de jeunesse, je le trouve dans des ouvrages sur l’art. Et je m’interroge quand je les relis en me posant cette question :
« Qu’est-ce qu’il y a dans ce livre qui peut m’aider dans mon métier ? »
C’est la seule façon que je connaisse de développer mon style, un style qui ne ressemble qu’à moi, sans trop répéter ce qui se dit ailleurs et sans devenir le clone d’un gourou. Et ça me freine aussi quand il s’agit de donner des conseils car j’aurais alors la prétention de créer justement le clone de moi-même. Je préfère alors inventer une histoire qui pourra inspirer le lecteur plutôt que de lui donner des directives. Je n’y arrive pas tout le temps. Tu liras parfois quelques conseils dans mes articles. C’est bien d’avoir des travers, ça permet aussi de ne pas toujours aller tout droit. »
« Tu vois Denis, je suis comme toi. C’est la raison pour laquelle, j’ai ajouté un élément dans mon intérieur. J’ai mis un miroir sur le mur face à la fenêtre et à mon bureau. Et quand je lève la tête, j’observe une réalité à chaque fois différente. Le soleil ne se reflète pas de la même façon, les branches des eucalyptus ne frémissent plus, un nuage passe, les voitures ont allumé leurs phares et le silence finit par se voir. Puis, au milieu de ces scènes, il y a un visage souvent immergé dans ses pensées. A chaque fois, je le regarde. Ce n’est pas, ou très peu souvent, un regard d’admiration ou de contemplation de soi, mais un regard qui s’interroge et qui répète inlassablement :
« et moi, dans tout ça ? ».
Je peux te dire que ça refroidit immédiatement les véhémences, ça glace les virulences et ça congèle les petites vengeances. Notre image que reflète le miroir n’est pas là pour nous glorifier mais pour nous rendre humble. C’est ça mon secret. La mauvaise humeur s’évapore et la pluie est le signe de ma fragilité. »
« La fragilité est l’élément moteur de la bonne humeur. On ne lit pas ça tous les jours. Même si cela me rappelle une pensée de Pascal quand il écrit que « l’homme est un roseau pensant ». Je l’ai dans ma bibliothèque. Je vais retrouver ce passage. Voilà, écoute bien :
« La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable.
C’est donc être misérable que de se connaître misérable, mais c’est être grand que de se connaître misérable. Penser fait la grandeur de l’homme. L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant… » (2)
Finalement, ce miroir qui est face à toi, au-dessus de ton écran d’ordinateur, il reflète l’image du roseau pensant, c’est bien ça, non ? »
« Tu as percé le mystère Denis. On peut aller plus loin en envisageant les conséquences. Par exemple, quand je publie un contenu sur les réseaux sociaux, un post, un partage ou un commentaire, je m’impose une règle de bonne conduite : je ne critique pas.
Et tu vois, c’est comme une clef, la clef qui m’ouvre la porte de la bonne humeur. »
« Critiquer (ou pire, juger), c’est exactement ce que je voudrais ne jamais faire quand je publie un contenu sur les réseaux sociaux. C’est pas tous les jours facile. Quand j’ai eu l’idée de créer un groupe sur Facebook (#jeblogue), j’ai voulu faire passer un message : oublions les critiques et remplaçons-les par les encouragements. C’est un groupe de blogueurs et les blogueurs n’ont pas forcément bonne presse, ils sont sous le joug des tireurs d’élite. J’explique ça dans mon article « l’étonnement est le début du blog » dans lequel je compare les blogueurs aux philosophes pré-socratiques. Et la recette fonctionne, j’ai vu des blogueurs prendre confiance, s’affirmer et ne pas s’arrêter aux 4 ou 5 fautes d’orthographe qui vont jalonner leur article. Sous le feu des critiques, ils auraient pu sombrer, mais portés par les encouragements, ils ont pris leur envol.
Tout est une question de regard, tu as raison, soyons plus habiles à repérer les bonnes choses plutôt que de nous efforcer à dénicher les petites bêtes.
Parfois, c’est quand même plus fort que nous, on critique quand même. Il y a alors une règle fondamentale sur laquelle repose notre crédibilité : ne jamais s’exclure de la critique. La caractéristique d’un blogueur est l’emploi de la première personne du singulier, le « je ». Si moi, le blogueur, j’emploie le « je », je ne dois pas passer au « tu », au « il » ou au « vous » quand je critique. Au contraire, je dois appeler à la vigilance en me disant que si c’est arrivé à un autre, ça peut très bien aussi m’arriver. Je ne suis pas plus fort que l’autre, en revanche, je peux être plus faible que lui. »
« Tu m’as vraiment mis de bonne humeur aujourd’hui mon cher Thomas. Bon, je vais ajouter moi aussi un miroir dans mon intérieur. Enfin, parodiant un autre Thomas, Thomas d’Aquin, je conclurai notre discussion par cette expression : « Sur les réseaux sociaux, critique bien ordonnée commence par soi-même ! »
« Ca ferait un bon titre Denis. »
« Merci pour cet encouragement Thomas ! »
Sur une idée originale de Denis Gentile, Digital Storyteller,
avec la participation de Thomas Redworn
(1) Merci à Abdelhamid Niati pour la référence qui a inspiré cette partie du texte : « De la culture du coton au tissu… »
La qualité de la matière première (le coton pour les chemises, le contenu pour les blogs) est essentiel. Vous pouvez faire une chemise avec du mauvais coton et elle ne durera qu’une saison. Comme l’article d’un journal qui n’est valable que le jour de sa parution. En revanche, l’article d’un blog devrait pouvoir être lu le jour de sa parution et plusieurs saisons après tout en gardant la même fraicheur, la même saveur.(2) « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant . Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il nous faut relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. «
9 commentaires
Magaly H · 21 janvier 2015 à 21 h 14 min
Merci Denis pour cet article très fort et qui effectivement invite à réfléchir.
Et la question que je me pose face à la critique est : « Qui suis-je pour critiquer ? » … ce qui me renvois à mon image dans mon miroir.
Ce que je tente de faire comprendre à mes enfants, c’est de faire des critiques constructives. C’est-à-dire d’apporter en face d’un point de vue négatif ou d’une contradiction, une solution ou une nouvelle vision des choses … histoire de faire avancer le débat, la discussion, et nourrir l’échange.
Aider à progresser et surtout encourager à continuer …
Ce Thomas est sympa, il me plait bien aussi, et son côté décorateur me parle beaucoup (déformation professionnelle !)
Alexandra - HISPAFRA · 21 janvier 2015 à 14 h 46 min
Merci Denis pour ce superbe article qui invite à la réflexion. Je rejoins Abdelhamid sur la référence à Pascal, très appropriée !
Gwenaelle Carré Guyot · 21 janvier 2015 à 10 h 44 min
Encore une fois, un excellent article qui prête à réflechir.
En te lisant Denis, je me suis demandée s’il m’arrivait de critiquer… et la réponse n’est pas évidente tant la notion de critique m’est floue.
S’agit il de poser un désaccord sur le fond? : « je ne partage pas ton point de vue »
S’agit il de donner un ressenti sur la forme ? : « je peine à te lire, les caractères sont trop petits »
S’agit il de dire sincèrement ce que l’on pense? : « je ne te suis pas, je n’ai pas compris… quelle est la conclusion »
S’agit il de donner une piste d’amélioration? : « j’aurais aimé que tu développes un peu plus ce paragraphe… »
Je crois qu’il m’est arrivé de critiquer, ouvertement sur le fond, la forme, les deux… et pourtant, je n’ai pas le sentiment d’avoir découragé l’auteur. Au contraire, de lui avoir donné un feed back utile. Et c’est sans doute ma déformation professionnelle….
Je ne critique que
quand je pense que ça en vaut la peine,
quand je trouve qu’il y a de la qualité dans le contenu
quand le texte me touche
sinon, je préfère m’abstenir.
De la même manière, je ne commente jamais pour faire joli, et je ne félicite pas pour rien.
J’essaie d’être authentique, et bienveillante à chaque lecture, commentaire. D’une manière générale, j’obtiens à mon tour des commentaires authentiques et bienveillants.
Le miroir….. miroir mon beau miroir, dis moi si je suis la plus belle… suis je légitime à critiquer? Et est ce que je critique finalement ne me concerne pas moi?
C’est une question que je me pose souvent. Il m’est arrivé récemment de mettre un commentaire critique sur #jeblogue, au sujet de la cohérence fond/forme/auteur d’un bloggueur que j’apprécie de lire. Ce commentaire a tourné dans ma tête pendant des heures, j’ai fini par aller vérifier l’ensemble de mes textes pour vérifier que je ne me critiquais pas moi même.
Parce que la cohérence est essentielle…
Merci Denis pour cet article. Il est vraiment sympa ce Thomas. Un chic type qu’on aimerait bien rencontrer….
A bientôt.
MonEncre · 21 janvier 2015 à 10 h 06 min
quel article à plusieurs niveaux de réflexions. La référence à Pascal est très juste et le miroir est un image que j’utilise également. Je me dis fréquemment : « regarde toi dans un miroir et tu verras ta part de responsabilité dans ce qu’il t’arrive ». Enfin, sur la critique, tu as raison car c’est elle qui nous fait avancer et quand on publie un article, il ne nous appartient plus et on s’expose à la critique. Il faut la prendre et être constructif. C’est un article d’une rare beauté maestro.
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