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C’est l’une des histoires les plus connues dans le monde, elle nous raconte la transformation de l’eau en vin. Deux mille ans plus tard, on vient de vivre un miracle à l’envers. Un signe des temps qui se répète bien trop souvent. Récit.
Je ne sais plus comment je suis arrivé là. En train ? En voiture ? Par téléportation ? Je ne sais plus. Si on mettait un microscope sur ma tempe pour observer ma mémoire, on s’apercevrait qu’il faudrait retirer des milliers de couches de poussière. Je fais pourtant souvent le ménage et ensuite je range consciencieusement ce que je trouve sur des étagères. Ce ménage n’est rien d’autre que le fameux « storytelling » et ces étagères sont mes blogs. Et ces outils sont bien plus efficaces qu’un aspirateur. Car il ne s’agit pas seulement d’une action de propreté dont le but serait de faire table rase, au contraire, c’est une action de propreté pour mieux voir en nous, faire surgir ce qui était tombé dans les oubliettes et pour dialoguer avec une partie de soi. Dans mon métier de blogueur, on appelle ça du contenu. Dans le cas spécifique du blogueur spécialisé en storytelling, ce contenu, ce sont les histoires que l’on raconte.
Alors voilà, me revoilà du côté de Saint-Emilion. La dernière fois, c’était en 1988 avec mes potes de fac.
Encore de la poussière
On passait nos vacances dans une belle, mais ancienne demeure. L’hébergement était gratuit. L’argument est décisif quand on est étudiant. Oui, mais, car il y a bien un « oui, mais » et il n’est pas dérisoire, l’intérieur était inhabitable. Il était inoccupé depuis une bonne dizaine d’années et si on a finalement pu y dormir et y manger, il a d’abord fallu lui donner de nombreux coups de chiffon. Tiens, je viens de comprendre comment j’en suis venu à parler de poussière et dépoussiérage dans l’introduction. C’est tout l’intérêt d’entretenir la mémoire, ça permet de mettre en évidence certaines connexions. Je viens vraiment de la découvrir, ne croyez pas que je triche. Quand on fait du storytelling, souvent on ne connaît pas à l’avance ce que l’on va raconter et la fin – la chute de l’histoire, la morale de la fable – on la découvre comme le lecteur. Parfois, elle se dessine et d’autres fois, on s’embarque sur de fausses pistes. N’oublions jamais que le storyteller est le premier lecteur de l’histoire.
On devait donc retaper cette vieille demeure et pour nous remercier les propriétaires nous ont offert le logis. C’est du tourisme intelligent, d’autant que les récréations, entre un coup de balai et un coup d’éponge, étaient plutôt sympas. On a fait la tournée des caves des grands crus classés. Ca se terminait donc toujours en coup de torchon !
On nous a enseigné les rudiments de la dégustation du vin. J’avais 20 ans et je n’avais alors aucun plaisir et aucune connivence avec ce nectar de raisins. On m’a tout expliqué, de la vigne à la bouteille en passant par la cave et le tonneau. On m’a dit comment tenir un verre et comment le manipuler, comment voir les couleurs et sentir les parfums. Surtout, car dire ne suffit pas, on m’a montré tout cela. J’ai commencé à comprendre ce qu’il y avait dans ces contenants que sont les tonneaux, les verres et les bouteilles. Grâce à la connaissance et à l’expérimentation, ma vision a donc changé, mon plaisir aussi.
Tiens je viens d’épousseter une caisse en bois. J’éternue, rien de grave, je suis allergique à la poussière. Je lis ce qu’il y a écrit en même temps que vous : Pavie-Macquin. C’est le château qui a couronné ce moment de ma vie. Bon, j’attends encore pour déboucher l’une des bouteilles. Je commencerai à y penser si cet article dépasse les mille partages sur les réseaux !
Un miracle à l’envers
Oui, mais voilà, ce matin, je n’ai plus 20 ans et on est bien en 2014, il n’y a plus de vin dans les tonneaux. Le liquide est bien sombre, mais il a moins de corps et il a quelque chose de gazeux. Ce contenu est intrigant et va se révéler inquiétant. Je verse quelques gouttes dans un verre et son aspect m’est familier.
Je ne suis pas seul, mais cette fois-ci, ce ne sont pas mes copains de fac, mais mes amis rencontrés ces dernières années sur les réseaux sociaux et qui participent activement au groupe #jeblogue sur Facebook. C’est Jacques, un fin gourmet et amateur averti en oenologie, qui a organisé cette réunion. Voici quelques morceaux choisis du dialogue né de cette conjoncture imprévue.
Je m’exclame le premier :
« Mais c’est pas du vin, c’est du coca, il y a du coca dans les tonneaux ! »
En expert, Jacques confirme immédiatement sans perdre son sang-froid et son humour :
« Oh, c’est une cave tenue par un community manager free-lance débutant ! Juste de quoi paraître, un besoin de communiquer en affichant ses propres codes. Goûtons… Coca Cola, un nez de vanille, très volatile… Au goût, l’amertume d’un bois jeune, la suavité de la réglisse, avec l’acidité d’une âme en quête de sens. Un vrai sens de la communication, avec une expérience inédite, celle de la consommation d’un coca millésimé. »
Frédéric y voit un bon signe, rien ne vient altérer son optimisme et sa bonne humeur :
« Et quel bonheur pour moi de pouvoir partager ces quelques instants avec vous tous ! Juste entre nous : Ne pensez-vous pas que ce Coca est comme un goût de « reviens-y » ? Comme une agréable surprise que l’on nous aurait tendue, celle d’apprécier le nectar à tel point que nous en reprendrions encore et encore…
Mais gardons cela secret entre nous, car comme le dit si bien Alessandro Manzoni : « Un des plus grands bonheurs de cette vie, c’est l’amitié ; et l’un des bonheurs de l’amitié, c’est d’avoir à qui confier un secret. » »
Et Stéphane trouve une ouverture et ne se désunit aucunement :
« L’un des bonheurs de l’amitié, comme tu le dis, réside dans le partage, dans la valeur de ce que l’on partage, dans la rareté ou la découverte. Tu veux me faire boire un Coca issu d’une barrique contenant normalement du vin…. Je ne pousserai nul cri outrancier, mais me permettrai de refuser cette proposition pourtant courtoise. Le dégoût et les déboires de cette universelle boisson ne trouvent pas grâce à mes papilles. Je me contenterai de t’inviter à une table sur laquelle de fiers crus chatoyants, aux robes rubis, aux suavités gustatives, honoreront une amitié par le partage de la rareté, non d’une universalité et d’un bonheur mal vendu de façade. A chacun l’âge venu, la découverte, ou l’ignorance, disait le poète ! »
Autre son de cloche, ou devrais-je dire, une réaction qui n’est pas du même tonneau du côté d’Abdelhamid et du reste de la compagnie :
« Du coca ? (Il se précipite vers le premier tonneau) Ici du coca, et là encore du coca ! J’ai inspecté tous les tonneaux et force est de constater qu’ils contiennent uniquement du coca. Je comprends vos airs étonnés, mais voyez vous-mêmes, c’est du coca. Du sucre cocaïné en lieu et place de spiritueux. Un sacrilège ! Mais quel esprit tordu et torturé a pu mettre du coca dans toutes ces cuves sans que personne ne s’en rende compte. Parce qu’il faut une sacrée quantité de coca pour remplir tout ça et je vous laisse imaginer une telle quantité de soda transportée et transvasée. Ca ne passe pas inaperçu. La chose la plus inquiétante est de savoir pourquoi cela tombe sur nous et à ce moment précis. Qui pouvait savoir que nous nous trouverions ici pour nous duper de la sorte. L’atmosphère de cette cave ne me rassure pas. »
Sandie débusque le piège du mauvais coup marketing :
« Damned, du coca ! Et même pas du « coca zéro » en plus… Non, je ne suis même pas d’humeur à rire là… Mais je ne crois pas au complot. Si c’est une tentative du viticulteur pour nous intriguer, c’est raté. Genre « notre vin est si exceptionnel qu’on ne le laisse pas être dégusté par n’importe qui ! Ça serait comme donner de la confiture aux cochons » » J’ai pas fait 900 km pour boire du coca. Si c’est ça, les cochons vont appeler la Répression des Fraudes ! »
Gwenaelle voit débarquer les Américains :
« A chauvin, 3 cochonnets et demi… ! C’est le D-day vinicole. Mais qui veut libérer la vigne ? Ce n’est plus une libération, c’est une invasion ! L’inculture cocaïenne se déchaîne jusque dans nos tonnelets. De la métamorphose à la métempsychose, Kafka se serait-il pris pour Jésus, transformant notre Nicolas en père Noël, et notre latin breuvage en flambeau américain ? De déception, j’en perds mon latin.
Quittons ces caves insurgées Aux armes, amis du verre à pied, et viva la revolución ! »
Enfin Morgane montre du doigt la porte de la cave :
« OK. Donc on a perdu Gwen… Ils sont forts quand même chez coca. Mais tu as raison, à n’en pas douter. Allons enfants du Tastevin, la junk drink ne passera pas par nous ! Le jour de boire est arrivé. Contre nous de la tyrannie consumériste, l’étendard grenat est levé ! Entendez-vous, dans nos campagnes, rugir ces féroces assoiffés ? Levons-nous, oui levons-nous et quittons séants l’antre du diable… »
Et à défaut d’une cuite, on a tous pris la fuite !
Et vous ? Il me semble que vous étiez là aussi, mais je ne me souviens pas de votre réaction. Aidez-moi à retrouver la mémoire (à dépoussiérer mon cerveau) en participant aux commentaires.
Le contenu change tout !
Cette histoire tragi-comique a une finalité bien précise. Celle de montrer l’importance du contenu à l’ère du tout numérique dans la communication.
Vous avez un site, que mettez-vous dans votre site ?
Vous avez un blog, que mettez-vous dans votre blog ?
Vous avez une communauté sur les réseaux sociaux, que servez-vous à vos invités ?
Posez-vous bien ces questions, il n’est pas trop tard, le coca n’a pas encore envahi les tonneaux du monde entier, et pour y répondre vous vous tournerez certainement vers quelques viticulteurs, vignerons ou sommeliers. Dans la blogosphère (les caves du web) et le monde des réseaux sociaux (les vignes), ce sont des blogueurs, des community managers, des content managers et des digital storytellers.
Avec eux, le cauchemar passera et il n’y aura plus jamais de coca dans les tonneaux des grands crus classés de Saint-Emilion !
Sur une idée originale de Denis Gentile, Digital Storyteller,
avec la participation des dialoguistes Jacques Tang (Zoom Consultants), Frédéric Hinix (Prospection Ciblée), Stéphane Favereaux (Comm’ des Mots), Abdelhamid Niati (Mon Encre), Sandie Giacobi (Les Filles du Marketing), Gwenaelle Carré Guyot (Le Zèbre à Carreaux) et Morgane Sifantus (Mo’ pour mots). Du« Photographe sur Bordeaux » Eric Bouloumié (la photo des tonneaux). Un grand merci à vous tous. Une dernière question : qui a dit que la blogosphère était ennuyeuse ?
14 commentaires
Abdelhamid Niati · 19 janvier 2015 à 9 h 45 min
La qualité, le contenu avant tout. Un bel écrin aussi beau soit il n’est rien sans un contenu à la hauteur.
Magaly H · 15 janvier 2015 à 7 h 53 min
J’adore cette histoire ! Merci à tous, quelle belle leçon, à la finale, comme le dit si bien Anne-Claire « Servons de la qualité à nos lecteurs … »
Je n’aime pas le coca, je préfère un bon verre de bordeaux, tiens, un Saint Emilion me va bien 😉
Merci Denis !
Florence · 26 septembre 2014 à 23 h 39 min
En tout cas, je connais un storyteller qui, même s’il prétend ne pas connaître la fin de ses histoires, sait les rendre on ne peut plus pertinentes!
AGIR Services · 23 juin 2014 à 12 h 35 min
très très bon article, je me suis totalement pris par cette histoire, l’art des mots et de conter cette histoire fonctionne sur moi, les images illustrent parfaitement l’article.
Eric · 18 juin 2014 à 16 h 12 min
Belle histoire racontée. A la lecture on pourrait se croire à côté. Ce qui est bien dans certaines histoires c’est leurs savoir-faire du lien virtuel et réel. Continue comme cela Denis, tu as trouvé la vraie route 🙂 Celle qui mène à l’humain.
Sandie · 18 juin 2014 à 13 h 39 min
J’ai adoré te suivre dans ce « délire » et j’adore le résultat 🙂 Bravo à toi et à tous les participants!
C’est certain, le contenu change tout et surtout la réactions de ce qui le dégustent. Si l’on veut attirer des amateurs, il faudra leur servir de la qualité!
Je crois en tout cas que de ton côté, tu sais déjà servir de grands crus!
Gwenaelle · 18 juin 2014 à 12 h 13 min
Merci Denis pour cette expérience très intrigante, et bravo pour l’histoire. Jusqu’au bout je me suis demandée où tu nous emmenais, quel talent que le tien pour « Storyteldire ».
J’avoue… J’ai ri !
D&J Prod · 18 juin 2014 à 11 h 24 min
Je me demandais où tu voulais en venir… mais il ne faut pas lâcher et aller jusqu’au bout pour apprécier ce bon vin. Pour ma part, j’essaie de faire de mon mieux mais je n’ai certes pas l’expérience des bon sommeliers…
Alexandra · 18 juin 2014 à 11 h 08 min
Denis,
Merci pour ce superbe texte… quelle imagination, quelle finesse, quelle intelligence… un vrai poète !
Marie-Ln Ladybug · 18 juin 2014 à 10 h 49 min
Parfois, j’aime me poser avec un verre de coca crépitant et glacé pour détendre ma tête … et parfois, j’aime que mon verre soit pourpre et parfumé d’un Chasse Spleen pour que mon esprit se gorge d »émotions … Très bel exercice de style qui pour moi illustre bien cet adage : il faut de tout pour faire un monde. 🙂
MonEncremonencre · 18 juin 2014 à 10 h 40 min
Denis, tu es un magicien, un alchimiste des mots,un maestro. Tu es magique !!!!
Anne C · 18 juin 2014 à 10 h 37 min
Excellent article !! Une belle histoire avec de bons acteurs 😉
Servons de la qualité à nos lecteurs, ils reviendront fort probablement si c’est à leur goût
Du coca dans les tonneaux ! | Social Media, Mar... · 21 juin 2014 à 10 h 18 min
[…] Que se cache-t-il derrière ce titre ? Une histoire que seuls des blogueurs pouvaient vivre et raconter ! […]
Mon métier ? Rendre unique votre communication sur le web ! | More Than Words · 18 juin 2014 à 7 h 42 min
[…] : la proposition est originale car il s’agit d’écrire des articles à quatre, six, huit ou dix mains. J’y vois un triple intérêt : multiplier par deux (et plus) la créativité, élargir les […]