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Nouvelle idée et nouvelle rubrique sur MoreThanWords signée Justine Neubach : convoquer un poème et s’arrêter sur l’une de ses images ou pensées saillantes.

Avec cette idée, loin de moi toute ambition d’analyses techniques ou parfaitement rigoureuses. Il s’agit simplement de suivre le regard d’un poète : partir de quelques vers, se les chausser comme des lunettes et laisser se dérouler des pensées que, souvent, par manque de temps, on étouffe. Voilà donc le principe de cette rubrique.

Je commencerai par citer un poème de Philippe Jaccottet, texte que l’on m’a envoyé récemment et auquel je trouve mille raisons de m’interpeller. Parmi elles, cette image :

« Une voix monte, et comme un vent de mars / aux bois vieillis porte leur force, elle nous vient / sans larmes, souriant plutôt devant la mort. »

Je crois que c’est une voix du seuil de l’hiver, une voix qui frissonne encore ; je lis cela avant même d’entendre qu’elle « monte ». C’est toujours l’impression que donne un vent de mars à cause de son humidité : on sent qu’il a survécu à la désolation, on se demande comment il a la force d’être encore là, et puis on le rencontre en sortant de chez soi, dans ce fond radouci de l’air qui parle des beaux jours.

Il porte des odeurs, aussi : celles de la terre, celles du bois où la sève fait retour. Tout semble plus odorant durant ces périodes humides.

Le vent de mars, comme la voix qui monte, va crescendo vers les beaux jours et la chaleur. Il témoigne d’une sorte de continuité du souffle : la mort est passée, la nature tout entière en garde une sorte de sourire blessé mais bourgeonne malgré tout. Ainsi la voix. Dans ce poème, elle m’évoque la survivance, et si elle « vient sans larme », c’est qu’elle est un son de vie pure, d’espoir, et qu’à vrai dire tant que la force de chanter existe quelque part, cela indique que les ressources pour renaître sont encore présentes.

Maintenant, qui est cette voix ? On le lit dans la suite du poème, c’en est le point de départ mais non la question principale.
Pour moi, ces vers qui la décrivent la font eux-même entendre.

Je vous propose maintenant de prendre quelques instants pour l’écouter de bout en bout (car la lecture, c’est aussi une façon de tendre l’oreille, il me semble) :


LA VOIX (par  Philippe Jaccottet)

Qui chante là quand toute voix se tait ? Qui chante

avec cette voix sourde et pure un si beau chant ?

Serait-ce hors de la ville, à Robinson, dans un

jardin couvert de neige ? Ou est-ce là tout près,

quelqu’un qui ne se doutait pas qu’on l’écoutât ?

Ne soyons pas impatients de le savoir

puisque le jour n’est pas autrement précédé

par l’invisible oiseau. Mais faisons seulement

silence. Une voix monte, et comme un vent de mars

aux bois vieillis porte leur force, elle nous vient

sans larmes, souriant plutôt devant la mort.

Qui chantait là quand notre lampe s’est éteinte ?

Nul ne le sait. Mais seul peut entendre le cœur

qui ne cherche la possession ni la victoire.

Rubrique conçue par Justine Neubach

 

Du même auteur : « LEITmotIVE » : Vingt petites histoires de marée

Catégories : Etonnement

2 commentaires

Name * · 2 novembre 2011 à 23 h 46 min

Pour la Traversée, pour Agrigente, et pour les plaisirs innombrables, pour l’Aide, pour la simple beauté renouvelée, pour la Voix, pour plus d’appréhension mêlée de compréhension, pour ma vie plus belle, pour la transmission non feinte, pour l’heur, pour cette année encore gagnée,ou presque…pour plus que tout çà, je remercie du fond de ce qui me sert d’âme et de tous les bords de mon coeur Philippe Jaccottet. Que toute la Paix vous soit compagne Monsieur…

ana · 11 juillet 2011 à 9 h 50 min

le sourire de la nature blessée, je ne m’étais jamais dit ce sourire que je voyais pourtant

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