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L’abstraction, notion ambiguë et multiforme n’est ni une stylisation, ni une ornementation, comment la décrire?

Signes Personnages

Il est plus facile d’analyser les critères de l’abstraction en les opposant à ceux de l’art figuratif qui font référence au visible et au monde de l’objet. L’imitation de la nature pose un questionnement philosophique : Quelle est la vérité de l’image copiée ? N’est-elle pas duperie, effet illusionniste ? Comment reproduire la nature sans la trahir ou la cloner ? Zeuxis, dans l’antiquité, avait peint des raisins si réalistes que les oiseaux venaient les picorer…

Certains artistes contestent l’opposition entre abstrait et figuratif. Jean Deyrolle multiplie les signes ambigüs: « Si je faisais un cercle, il demeurait quand même une orange, le zigzag, un éclair…» Olivier Debré intitule ses tableaux Signes Personnages (photo ci-contre) et refuse d’appartenir à l’une ou l’autre catégorie, autant que Nicolas de Staël qui affirme : « J’essaie à chaque fois d’ajouter
quelque chose en enlevant ce qui encombre ». Sa célèbre toile: Le Parc des Princes (1956) (image ci-dessous) montre l’affrontement de masses colorées, figurant le corps des joueurs ;  le jeu des formes et des couleurs constitue le vrai sujet du tableau.

Les différentes recherches picturales des peintres du XXe siècle vont aider à comprendre la naissance de l’abstraction et sa richesse.

Chacune des recherches artistiques contribue à mettre en place une nouvelle peinture qui s’annonce comme un des plus grands courants stylistiques du XXe siècle qui perdure aujourd’hui. C’est avec les expériences picturales de Cézanne, Van Gogh, du cubisme de Braque et Picasso, de Matisse et de Monet  que les premiers signes sont posés avant que les inventeurs et les théoriciens de l’abstraction : Kandinsky, Mondrian et Malevitch ne viennent définir l’évolution des formes liés aux nouveaux concepts.

Peindre les effets de lumière

 Le premier à étudier la réfraction des rayons lumineux sur la vitre de la fenêtre est Delaunay, dans un exercice purement stylistique, il présente les Disques simultanés (1912) formes indépendantes de la présence de l’objet. Bonnard,  dans la lumière de la Méditerranée va créer une ambiance que l’on retrouve chez ses contemporains Maeterlinck, Debussy ou Mallarmé : la même poésie lyrique y lie l’intimisme au décoratif.  Atelier au mimosa (1939) présente la lumière qui entre dans sa maison, comme un poudroiement coloré absorbant toutes les formes.

Les vues des Cathédrales de Monet prises de trois endroits différents ne sont que particules de matière en mouvement, diversement colorées par leur rencontre avec la lumière. La série  des Nymphéas atteindra le statut d’icône ; une centaine de vues sous des éclairages variés, de la Tamise ou de Venise, font disparaître l’idée même de forme qui dominait depuis des millénaires.

La touche picturale

La touche abstraite de Rembrandt, déjà, ou de Turner, artistes dits figuratifs, trace le chemin de l’abstraction. Monet, l’impressionniste, « le barbouilleur» pour le public de l’époque, est inspiré par la photo née avec son siècle, l’œuvre d’un instant, moyen exceptionnel d’investigation du monde. Cette conquête explique son goût pour les sensations visuelles pures qui induisent la rapidité du geste et de la touche. Cézanne dit de lui : « il n’est qu’un œil…mais bon Dieu quel œil ! ».

Géométriser les formes pour une unité plastique

Pendant sa période dite constructive (1878 à 1892), la plus « abstraite », Cézanne veut «traiter la nature par la sphère, le cylindre et le cône, le tout mis en perspective ». Il géométrise les formes, déconstruit l’espace en le réduisant à deux dimensions ou en utilisant une perspective inversée et déformée, travail qui se répercutera sur les cubistes. La Montagne
Sainte Victoire
, thème récurrent dans l’œuvre de Cézanne, disparaît dans un décor unifié où fond et forme se confondent.

Le réel se déforme pour devenir l’outil d’une construction abstraite. Ses Baigneuses ne cherchent pas à plaire, elles ne sont là que pour multiplier les courbes des arbres, des
branches, se fondre dans le décor et en devenir un des éléments plastiques traités de la même façon que les autres. Les arbres deviennent branches, les corps deviennent des troncs organisant un monumental édifice spatial. Cézanne retire au corps sa charge émotive, pour le peindre avec la même implacable objectivité que les autres motifs.

Rechercher l’équilibre des forces entre la couleur et la ligne: Matisse

La simplification des moyens picturaux, la pureté des lignes cernant les figures de La Danse et de La Musique (1910), les grands aplats de couleur maintiennent l’objet présent et le contraste du fond et de la forme. L’opposition de ces deux éléments, ligne-couleur y reste forte, l’objectif de Matisse va être d’intégrer la forme au fond. Toutes les recherches de Matisse se centrent sur l’adéquation entre la forme et son contenu, qui semble trouver une ultime réponse avec les gouaches découpées qui lui permettent, selon ses termes de « dessiner dans la couleur».

La peinture se suffit à elle-même

Déconstruire l’espace pictural traditionnel, donner à la couleur et à la ligne un rôle autonome est la première rupture. La surenchère est permanente, peindre devient une activité indépendante de tout critère où chacun définit son domaine et son mode de perception. Il est moins question de beauté que de fonctionnement de l’œuvre, moins question de création que d’invention.

Chacun veut choisir sa propre démarche dans un grand foisonnement artistique que l’onqualifie d’un terme militaire: les Avant Gardes.

Liliane Collignon

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Liliane Collignon

Historienne de l'art et conférencière : formation classique et universitaire Spécialisation : art moderne et contemporain Sujet de Maîtrise : Kandinsky : Les Années parisiennes, la Fête intime Sujet de thèse doctorale : Du Spirituel dans l'Art et dans la peinture contemporaine en particulier

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