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« On juge selon ce qu’on voit, on voit ce qu’on regarde; on regarde ce qu’on veut; donc on juge selon ce qu’on veut ». ( Jean LAPORTE, La conscience de la liberté – 1947 )

Dans nos sociétés, souffle actuellement un vent de folie qui nous emporte sans mesure vers l’admiration de la nature, soudainement si belle, si merveilleuse, si bienfaisante, si… au point qu’il nous faut vite devenir écomachin et biotruc, morale sociale oblige.

Pourquoi la nature serait-elle belle ? Elle n’a pas à l’être.  Du moins, il faut une certaine capacité à voir l’horreur et savoir la regarder avec la même intensité que l’on admire « un beau paysage », ou « le vol gracieux d’un papillon sur une prairie fleurie », ou « le bouton de rose natif embellit de rosée », ou …, pour pouvoir affirmer que la nature est belle.

La féérie pyrotechnique de Gaïa colérique

Qui, de ceux qui, borgnes volontaires, chantent les louanges de la nature, sait regarder avec aplomb et émerveillement l’insoutenable vérité de la phase destructrice de la nature ?

Bien sûr qu’il y a de la féérie dans le pyrotechnique spectacle d’un volcan qui épanche ses laves sur ses flancs… puisque notre borgnitude est aveuglée par les couleurs, les mouvements… le spectacle grandiose de la Terre en furie ; toutes choses pouvant assouvir nos envies de sensationnel, de spectaculaire, de frissonnant ! Mais comme il est facile de trouver beau de l’effroyable, quand on peut l’observer et le vivre en toute sécurité ! Quelle plante, quel insecte, quel mammifère terrestre pris au piège de son terrier peut trouver beau la lave qui s’approche, le brûle et le détruit ?  Des milliers, des millions d’êtres vivants meurent ainsi en quelques minutes, heures ou jours selon la violence du séisme quand nous, humains à distance ou derrière nos écrans , regardons le film grandiose d’un drame que nous ne voyons pas.

Bien sûr qu’il y a de la grâce dans la course élancée du guépard, de la puissance dans l’assaut de capture d’une lionne, de la magie dans la stratégie de chasse des loups… puisque notre place de spectateurs volontaires et voyeurs, s’apparentant à celle du peuple des arènes d’antan, motivé par instinct à la loi du plus fort, que nombre d’entre nous ne pourrons jamais être, nous interdit de jouir à satiété de la violence effroyable des douleurs des chairs qui se déchirent, des os qui se broient, du corps qui s’anéantit, bien avant que l’esprit en perde la conscience.

Bouillie de gnou, d’un jeune gnou suivant sa maman !

Allons, allons ! Gros plan sur l’atroce massacre biologique engendré par les mâchoires puissantes d’un crocodile, obscure souvenir dinosaurien, qui écrabouille peau, tripes, muscles, vaisseaux de l’abdomen d’un gnou bien vivant, yeux exorbité d’effroi, pas encore noyé, pas encore mort, pas encore, pas encore… pas encore !

Bouillie rouge chair et sang, encore, encore plus, dans les meuglements obsédants, névrosants,

pas mort, pas encore,

PAS ENCORE !!!

Qui peut soutenir le regard sans broncher, admiratif comme peut l’être le regard de celui qui regarde paisible le dernier soupir du soleil un soir, avec admiration le coucher morbide du gnou agonisant.

Comme ses acolytes prédateurs loups, lionne ou guépard, le crocodile est beau par lui-même – ou laid pour ceux qui classent le « beau » pour ce qui leur plait et le « laid » pour le reste – mais qui peut trouver beau les scènes ordinaires des massacres induits par la nécessité de s’alimenter ? Quoi de plus naturel, pourtant, que ces scènes de nature sans qui la nature ne serait pas ; sauf à être fasciné par le morbide.

Plus belle la mort, vive les rides et gloire au plus fort !

Bien sûr que la vie est belle quand on ne voit pas la mort, quand on la refuse en oubliant que sans mort pas de vie.

Bien sur que la jeunesse est belle quand on se convainc à coups de bricolages chirurgicaux et d’embaumements in vitae que sans rides l’âge ne se voit pas.

Bien sûr que l’amour est beau quand on s’obstine à croire qu’en prêchant « Pax totius humanitatis », on accomplit son devoir humanitaire en s’exonérant de comprendre que la nature humaine reste soumise à des lois animales.

Bien sûr, alors que la nature est belle, comprise évidemment celle des hommes qui en est émanation !

Mais je ne peux m’empêcher, parce que je la regarde en face depuis des décennies de par mes formations, mes métiers et mes passions, chaque jour ou presque, chaque nuit aussi avant que le sommeil ne m’emporte, que la nature est laide, profondément laide, impitoyable, cruelle, totalement régie par la loi du plus fort, et profondément vicieuse pour nous doter d’une conscience, de sentiments, et d’incertitudes. Quel vice tout de même que de s’extasier devant un sexe végétal au point de le sentir, de l’exhiber à la boutonnière, de l’offrir ; et de se scandaliser d’un sexe animal placardé sur une affiche ! Garce de Nature ! Mièvre d’Humain crétinisé par lui-même pour son salut !

Hypocrite à souhait, où quand la nature sauve l’homme de sa conscience

La nature n’est pas généreuse et bienfaitrice à foison, et accessoirement un peu cruel, comme si nous lui conférions un statut d’évolution pas totalement abouti à notre goût. La nature ne se connaît même pas, elle s’ignore à elle-même, sans conscience autre que celle qu’elle a fait émerger en nous seuls ; elle n’est ni généreuse, ni bienfaitrice, ni nourricière, ni belle, ni bonne… ELLE EST !  Rien d’autre.

Elle est, d’ailleurs probablement, juste à notre esprit, juste à notre conscience, car rien n’est moins certain que nous soyons les seuls à le savoir !

Fort heureusement que la nature est imaginative ! elle a aussi inventé l’hypocrisie, épouse du mensonge, pour nous sauver, nous exonérer du devoir d’objectivité. Alors, humain, je remercie Dame Nature pour son infinie bonté, qualité que très hypocritement j’ai décidé de lui attribuer, de nous avoir doté de cette magnifique capacité d’hypocrisie, de duperie, de mensonge, d’aveuglement, de subjectivité, de croyance, d’idolâtrie, etc. qui me permet de la trouver belle, si belle, au point de lui consacrer ma vie, de la regarder avec l’œil du poète ou de l’artiste, pour mieux supporter la « vérité » du biologiste, de l’écologue, de l’observateur attentif que je croyais pouvoir être sans broncher.

« C’est la croyance et non la raison qui mène le monde » (Edouard Herriot, Notes et maximes – 1961)

Jean-Luc Mercier


4 commentaires

Mephistra · 18 août 2016 à 19 h 22 min

Cet article me parle énormément étant donné que j’ai tenté moi aussi de fuir cette nature impartiale et parfois cruelle, beaucoup trop cruelle, vicieuse assurément, en me consacrant à l’art, plus particulièrement à la poésie, à la chanson, et l’art du spectacle. Je me suis entraînée tous les jours, voix, alimentation, sport, apprentissage de ma langue étrangère favorite, je m’étais mise en tête de succéder au groupe japonais ALI PROJECT qui est très versatile, dont la chanteuse interprète est une poétesse de haut niveau, très intelligente (intelligence égalant souvent à des désirs supraterrestres, rêve d’un monde différent du nôtre, idéaux élevés hélas), est aussi très belle et sûre d’elle (ce qui est en accord avec les paroles qu’elle prononce) ; et bien que je sois arrivée à son niveau sur le plan vocal (alternance très marquée entre l’aigü et le grave, sans que cela semble artificiel -en hôpital psychiatrique alors que j’avais confié à une infirmière que je ne savais pas quoi faire en terme de métier plus tard, celle-ci m’a interpellée un jour qui a suivi notre entretien et m’a dit que je pourrais faire quelque chose de ma voix car apparemment sans que je ne m’en rende compte, j’alternais souvent entre une voix très grave et une voix très aigüe en fonction de mes émotions du moment-), seulement la nature m’a dotée d’un corps hideux qui m’a causé de nombreuses grosses dépressions, et même si j’ai voulu me voiler la face en m’entraînant d’arrache-pied, en ne vivant que pour la musique, et en achetant de sublimes robes pour entrer dans la peau des sublimes créatures que je comptais incarner, je me suis rendue compte trop tard que peu importe les efforts que je ferai, rien ne me rendra une apparence normale. J’ai tout essayé au cas où on me suggérerait la chirurgie esthétique etc (opération impossible car né sans cartilages -c’est rare mais c’est mon cas, j’ai le nez épaté car la peau est épaisse et je n’ai pas de cartilage donc on ne peut rien, et en plus j’ai de tout petits yeux, les lentilles c’est inenvisageable, parole d’ophtalmo…-). De fait je suis dévastée, moi qui prenais soin de moi etc, je n’en vois plus l’intérêt et repense régulièrement à la mort. J’aurais l’air complètement ridicule à chanter ceci : https://www.youtube.com/watch?v=cWhjxRwMhUw alors que j’ai réussi à atteindre un niveau qui me le permet, car, comme me l’a dit quelqu’un quand j’étais au collège « Arrête de chanter comme ça, CA NE TE VA PAS »… Je suis blessée pour toujours. Merci la nature, merci la vie. J’avais confiance en mon talent, et cette nature putride l’a balayé d’un seul revers de manche, comme elle fauche des milliers de vies jour après jour à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas voir.

Diane · 10 février 2016 à 18 h 30 min

Si la nature n’est pas conscience d’elle-même alors comment l’es-tu? N’es-tu pas toi-même qu’une expression de la nature, tu es ce que tu condane toi même. La laudeur de là nature cache enfaite une beauté encore plus grande, in désir d’unité qui motive tout nos actes que l’on soit humains où animaux. Tout ce que l’on désir, c’est faire partie d’un tout. A chacune de tes inspirations, la vie entre en toi et quand tu expires c’est toi qui entre en elle.

St-Cyr Roger. · 14 octobre 2015 à 2 h 05 min

On dit que c’est l croyance qui mène le monde, je crois que c’est l’argent. L’homme sachant que le jour J n’est pas arrivé (Jour du Jugement dernier) et n’arrivera tout simplement pas ‘Donc ne peut espérer un au-delà meilleur..se réfugie dans l’argent ne jure que par l’argent, ne fonctionne que par l’argent.

penalver · 13 septembre 2015 à 18 h 41 min

Bonjour, je suis agréablement surpris d’avoir lu votre article…ça contre balance un tout petit peu ce flot quasi continu que les mass médias imposent à nos yeux: La Nature est belle, c’est magnifique même quand un lion dévore une antilope…

Il y’a une profonde hypocrisie dans l’opinion commune de l’homme sur la Nature, on oublie très volontier que la base de presque toute vie, est de vivre au dépend d’autre vie…c’est inévitable pour notre espèce en particulier…C’est vrai qu’il y’a beaucoup à dire sur la Nature…

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