Ce titre sonne comme une chanson rock,
mais ses interprètes sont des blogueurs qui font du storytelling.
Leur album, c’est ce blog et ils diffusent leurs morceaux sur les réseaux sociaux.
Down to the river (un conte de Noël)
Denis et Thomas sont à Cannes. Ils déjeunent ensemble au restaurant «L’affable ».
- Denis, dans ton interview sur le blog de Chris Simon (il était une fois le digital storytelling), tu as déclaré :
« Le storytelling est à la littérature ce que le rock est à la musique. La littérature est en train de vivre au début de ce XXIe siècle, une révolution comparable à ce que la musique a vécu dans la deuxième moitié du XXe siècle. »
Alors j’aimerais te lire un texte que je trouve très rock.
- Ok Thomas, je serai heureux de t’écouter.
- Chaque matin, il fallait se lever, se laver, se raser, s’habiller, boire son café et sortir de son chez soi, puis seul et anonyme se frayer un chemin entre les blocs de ciment, de métal et de chair.
- Bon début Thomas que mon ami blogueur Abdelhamid Niati n’aurait pas renié.
Denis consulte le blog d’Abdelhamid sur son iPad et retrouve la phrase qu’il avait en tête.
« Je descends les 4 étages qui me séparent du rez-de-chaussée en soulevant une petite valise achetée des années auparavant. D’un pas cadencé à la juste vitesse, la sortie m’attend et je franchis, le fameux rectangle dessiné dans la pierre de taille. A droite, c’est à droite que je dois aller pour gagner la gare au plus vite. Je prends la rue à une allure plus vive mais toujours avec la même fluidité et ce sans rencontrer d’obstacles. En poursuivant ma route, en costume marine sur mesure et chaussures parfaitement cirées je sais que je fais forte impression et je sens les visages se tourner à mon passage. Un magnifique soleil vient caresser mon visage et m’invite à lever la tête une seconde afin d’admirer le ciel. »
- C’est vrai et la suite, tu vas voir, présente encore des similitudes.
- Dès la première bouffée d’air, il pouvait s’adonner à sa maladive cigarette guérisseuse de ses maux stressants. Assis devant son bureau en noyer, il fixait l’horizon limité par les étages supérieurs du palace d’en face. Alors naissaient les milliers et millions idées pour faire avancer le monde, ou plus exactement, les milliers et millions d’idées pour permettre à sa compagnie de marcher sur le monde ! Autant d’idées, autant de dollars et avec les dollars, la reconnaissance des caïds des buildings frontaliers. Et d’autres matins, la routine laisse place à une autre routine, l’évasion à bord d’une décapotable aseptisée vers des îles isolées à la rencontre des femmes aux bijoux les plus brillants.
C’est facile la vie, il suffit un jour de gribouiller sur un bout de papier la silhouette d’un personnage au rictus sympathique et de lui donner la bonne parole à délivrer à tous les terriens. « Rien de neuf, affirme notre tout-puissant protagoniste, Jean-Baptiste et Jésus sont passés par là bien avant moi. » Voilà en quelques mots, le portrait de Michael Power, un bien modeste publicitaire à la culture hautement biblique !
Né à Denver, il n’a plus remis les pieds dans sa ville natale depuis neuf ans et dix-sept jours, date de départ de son irrésistible ascension sociale New-Yorkaise.
A ce propos, es-tu déjà allé à New-York ?
- Non Thomas je connais bien San Francisco, Chicago, Madison et la Floride mais pas New-York. Quand j’ai écrit l’article « Et si on allait vivre à New-York ? », j’ai demandée à Nancy Freyermuth, une amie rencontrée sur les réseaux sociaux en 2011 qui est originaire de cette ville.
Denis reprend son iPad et clique sur cet article.
– Ecoute ce qu’elle dit Thomas :« Les new-yorkais sont comme moi ou je suis comme eux « spontanés » (j’ai eu ma première immersion dans cette ville assez jeune), ils prennent et vivent le présent sans calcul.
Ce qui rend cette ville unique à mes yeux c’est son mélange des genres : des quartiers effervescents et d’autres très calmes avec un esprit de village, des gens qui courent partout mais qui s’arrêtent dans Central Park pour nourrir les écureuils, la musique jouée spontanément partout, le calme de la nuit, la discussion facile, l’aide spontanée quand on est perdu.
Le fait d’être là avec eux et seule en même temps, je me sens toujours touriste là-bas incognito et libre. J’ai mes adresses, mes repères mais j’évolue à mon rythme en accord avec moi-même, avec toujours de jolies rencontres, des moments forts vécus et sans lendemain sans aucune obligation. On ne cherche pas forcément à partager autre chose que ce moment, gravé à jamais dans nos mémoires, ni forcément à se revoir. »
- C’est exactement ça, je discuterais bien avec elle. Je reprends le cours de mon récit :
Habitué à courir les grands espaces, il se retrouve prisonnier dans des intérieurs aussi coquets que réduits. Elevé dans la chaleur et l’hospitalité d’une famille catholique, il n’a de malheureux et brefs contacts avec sa mère que grâce au téléphone de la société et n’a plus mis les pieds qu’une misérable fois dans une église. C’était pour le mariage d’u collègue et d’une mannequin, depuis ils ont divorcé. « On devient adulte lorsqu’on réussit à s’échapper de son enfance, philosophe-t-il. Quitter ses racines et oublier les traditions inculquées dans les livres d’histoire, voilà la bonne méthode pour vivre une vraie vie libre et moderne. »
- Je vois que ton héros n’est pas à cours de phrases toutes faites ! J’intitulerai cette première partie d’un ironique « Portrait d’un géant »
- J’anticipe alors le titre de la deuxième partie : « Un autre chemin » et je poursuis le récit :
La routine est ennuyeuse et se voir répéter inlassablement les gestes de la vie quotidienne rend le réveil encore plus difficile. Enfant, on se dit qu’il est beau de prolonger nos rêves. Pendant nos longues nuits illustrées et romancées, nous parlons aux animaux, regardons les étoiles et imaginons un ami lointain jouant de la flute. Mais plus tard à l’âge adulte, Michael se bat pour ne plus céder à ces faibles pensées romantiques, il se culpabilise un instant puis retourne et se noie dans sa moderne stricte réalité.
Huit décembre 1993, 8h31, les nuages se laissent transpercer par quelques rayons de soleil.
- Thomas, là tu deviens aussi précis que Morgane Sifantus. Son roman dont le tome 3 devrait bientôt être publié est un modèle du genre. La précision de certains détails doit attirer l’attention de lecteur et créer en lui une attente qui se transformera enchantement quand il en saisira le sens.
- Bottines importées d’Italie impeccablement cirées, veste en cachemire achetée à Paris délicatement enfilée…
- Je t’interromps encore, mais ça c’est du Abdelhamid Niati tout craché. Il va bien rire en lisant ton texte. Je crois même que certains vont aller à croire que Thomas Redworn, c’est en fait Abdelhamid Niati ! Heu.. reprends ton récit :
- … un dernier coup d’oeil à ce ciel de si bon augure, il sort enfin, appelle l’ascenseur, attend deux minutes et ne voit rien venir. Il décide alors de descendre les mille marches des cinquantes étages qui le séparent du dehors. Entre-temps, le ciel s’est obscurci. Légèrement en retard, il décide d’éviter les grandes avenues si noires de monde et il s’engage dans de petites rues inconnues mais qui le mèneront, sait-il, à destination. La tête baissée et les yeux attentifs, ne boulant pas risquer d’endommager la fine croute de cuir de ses souliers, il se remémora ce poème de Robert Frost appris à l’école :
« Deux routes divergeaient dans la forêt, j’ai pris la moins fréquentée et c’est ce qui a tout changé ! »
Et il comprit qu’il avait choisi pour la première fois dans sa vie, comme le poète, la voie la moins fréquentée, celle où personne ou presque n’osait vraiment s’aventurer, pratiquement inexplorée. Pourtant ce côté-ci de la ville offrait bien des avantages. Ainsi, il évitait les bousculades, les gaz des voitures et la fumée des autres cigarettes. Il se revoyait plus jeune et de couper à travers champs. Une impression de déjà vu.
Soudain, une pluie diluvienne s’abattit. Aucun abri pour le protéger, alors il se mit à courir vite, plus vite, encore plus vite. Le nuage envolé vers d’autres cieux, il pu reprendre son souffle en marchant lentement. Trempé jusqu’aux os, il hurla contre Jupiter et accusa tous les Dieux de vouloir la fin du monde et la sienne en premier lieu. Il retire sa veste puis aperçu au loin une frêle silhouette.
Assis sur le bord du trottoir, un gamin pauvrement vêtu regardait l’eau déferler dans le caniveau. Michael se rapprocha. L’enfant tout ruisselant oscilla la tête et murmura d’une voix fragile :
« J’aime la pluie, oh oui j’aime la pluie répéta-t-il avec un brin supplémentaire d’émerveillement dans sa voix. Vous savez pourquoi ? Parce que avec la pluie, il y a des rivières devant ma maison. J’aime voir couler les rivières, j’aime voir les choses que les hommes jettent par terre s’éloigner. »
Michael esquissa un sourire et regarda autour de lui, il ne votait qu’un viel hangar et une immense façade de en briques aux fenêtres condamnées. Il demanda : « où habites-tu mn garçon ? »
« Ici, répondit-il, j’y construit ma maison. Mais j’ai peur qu’un jour la pluie cesse. La pluie, c’est l’eau venue du ciel d’une source divine où les anges ont l’habitude de boire. Et sans eau, la vie n’existe pas, la vie ne se renouvelle pas, la vie meurt. Il n’avait pas plu depuis dix-sept jours. Alors cette nuit, j’ai remis mon sommeil à plus tard et j’ai prié. J’ai prié pour que Dieu creuse le lit d’une rivière. »
- J’ai une amie blogueuse qui se décrit comme un zèbre à carreaux qui évoque parfois les anges dans ses articles. Je suis curieux d’entendre son interprétation sur ton histoire Thomas.
Pendant ce temps-là, le dessert arrive mais cela n’empêche pas Thomas de continuer son récit et de distraire Denis.
- Il sortit un harmonica de sa poche et commença à jouer quelques notes. Puis, il s’interrompit un instant pour dire : « Regarde, regarde il y a un chien qui boit dans ma rivière et là ce petit chat gris qui hésite à tremper ses pattes, c’est beau hein, dis-moi, c’est beau, c’est vraiment beau ! » Et il reprit la mélodie sans son harmonica mais en chantant :
« … down to the river, and into the river we’d dive, Oh down to the river we did ride… »
- C’est une de mes chansons préférées. C’est même ma chanson préférée de Bruce Springsteen. Tu as construit ton histoire autour d’une chanson comme j’ai construit ce blog. Demain, si tu es d’accord on va publier ce texte. Il a sa place sur More Than Words. C’est bien la preuve que le storyteller est un rocker et quel rocker, The Boss !
- Sa voix tremblait d’émotions mais aussi de froid. Michael le couvrit de sa veste. En confiance, l’enfant ajouta : « Tu sais, ici je construis ma maison car les maisons se construisent près des rivières, mais un jour je partirai, j’irai bien plus loin, je suivrai ma rivière. »
Un moment de silence. Puis Michael éternua, renifla et s’excusa. Il devait absolument s’en aller. En dix ans, il n’avait jamais été en retard. En guise d’adieux, il lui demanda « quel est ton nom ? » « Luca, je m’appelle Luca. »
« Au revoir Luca, bonne chance. »
Il partit, le coeur plus vivant que jamais et il entendit une voix toute proche lui souffler :
« Tu sais, un jour j’irai plus loin que ma rivière et que toutes les rivières de la Terre. J’irai dans l’univers et tu viendras avec moi. »
Michael se retourna, il n’y avait plus personne. Il regarda un dernier moment l’eau qui coule dans le caniveau puis rejoignit la grande avenue sans même s’apercevoir que le soleil pointait toujours son regard, que le sol était sec et qu’il était le seul au milieu de la foule à être complètement trempé. Ici, il n’avait jamais plu.
Perdu dans son émerveillement, il se sentait différent, il ne sait pas encore vraiment pourquoi, mais il se disait :
« Enfin j’existe, étrangement j’existe, autrement, autrement, j’existe autrement ! »
- Merci Thomas pour cette belle histoire.
- Merci Denis pour ce déjeuner, c’est très bon ce que l’on mange ici. Je reviendrai. Voici le texte de l’histoire. Et Joyeux Noël à tous 🙂
4 commentaires
jacquestang · 19 décembre 2014 à 11 h 33 min
Toujours plaisant que de se rafraichir l’esprit, Denis.
Le storytelling en mode blogueurs, un bel article qui méritait vraiment un soufflé au Grand Marnier.
Je partage évidement
Abdelhamid · 18 décembre 2014 à 10 h 44 min
Je suis heureux de faire la connaissance de Thomas Redworn. Denis tu maîtrise l’art de raconter les gens mais également le monde. Voilà pourquoi je t’ai surnommé Maestro.
Gwenaelle · 18 décembre 2014 à 9 h 19 min
En premier lieu merci de m’avoir accordé une place dans cette histoire. A mon tour d’être étonnée, émerveillée. C’est une magnifique rencontre que la notre : celle de deux amoureux de mots, deux rêveurs dans le monde du marketing. Pour cela, merci Internet.
Ce petit Luca est bien clairvoyant. Construire sa maison prés d’une rivière, c’est se donner l’occasion de « déposer son tumulte intérieur sur le dos des poissons, sur le ventre des feuilles, sur les pétales des fleurs semées par le vent ». (une phrase que tu liras ailleurs, bientôt… ).
C’est se donner la chance de faire le vide en soi pour accueillir le merveilleux.
Construire sa maison prés d’une rivière, c’est pouvoir méditer sur le sens de la vie. Sur le sens du divin merveilleux de l’existence humaine. Oui, les anges aiment s’asseoir au bord de l’eau….
Sais tu que c’est l’eau qui choisit son chemin et qui construit la rivière? Elle se faufile, se cascade, se soubresaute, s’entremêle, au milieu des éléments. Elle creuse son nid, détermine sa propre trajectoire. Certes, toujours en descendant, quoi que… en prenant un peu d’élan, ne pourrait elle monter vers les cieux?
Je crois que nous sommes tous des gouttes d’eau, mais que nous l’avons oublié. NOus pouvons nous aussi creuser les sillons de nos existences. Et quand nous l’avons fait…. alors de magnifiques plumes d’ange poussent dans notre dos.
Certains parmi nous sont des anges, mais ils ne le savent pas encore. En fait, je crois que nous sommes tous des anges….. intimement reliés les uns aux autres par une connexion invisible, (un wifi relationnel….), dans une trame étoilée (un web social), libres comme l’eau, et tellement forts réunis (des millions d’octets, ça fait des terra octets non? )
MOi aussi j’ai pris la route la moins fréquentée. J’ai choisi la rupture, choisi de faire autrement, de creuser le lit de ma propre rivière. Et tu sais quoi Denis?
C’est sur ce chemin le moins fréquenté que j’y ai fait les plus belles rencontres…..
Des rencontres qui font sens, qui m’inspirent, qui me réchauffent le coeur, qui me donnent envie de poursuivre la route parce qu’elles sont des sentinelles bienveillantes qui me confortent dans mes choix.
J’aime te lire. J’aime ce que tu fais de ton métier. J’aime aussi tous ceux que tu as cités ici et que je connais, et je suis impatiente de découvrir ceux que je ne connais pas encore. A bientôt,
Gwen.
Denis Gentile · 20 décembre 2014 à 14 h 51 min
Merci Gwenaelle, merci pour ce commentaire qui vaut bien plus que l’article en lui-même. C’est un peu comme si Thomas avait posé une question et que tu y répondais.
J’ai écrit et publié un bouquin en 2002, publication à tirage très limité, son titre « Diversions de l’Ange ». Je devrais le publier en version numérique l’année prochaine. Tiens, c’est une bonne résolution pour 2015 ! J’espère que tu pourras le lire 🙂