Au regard de vos expériences, vous semblez avoir choisi de vous consacrer à la rédaction Web plutôt qu’au journalisme. Pourquoi ? A votre avis, doit-on absolument choisir entre travailler en tant que journaliste dans une rédaction et écrire des papiers publiés sur les supports d’une marque ?
— Lors de mes rencontres sur les réseaux sociaux, une de mes relations qui travaille dans une agence web m’a posé plusieurs questions sur le journalisme et la rédaction web. Voici la suite de cette interview. —
Si le support, papier ou digital, est différent, le journaliste et le rédacteur web piochent leurs écrits dans la même matière, la réalité.
La réalité
Prenez un journal généraliste, Libération, Le Monde, Le Figaro, à vous de choisir et consultez la une. Que lisez-vous ? Il y a de fortes chances qu’on y parle d’une guerre, d’une catastrophe, d’un scandale politique, d’un fait divers, des états d’âme d’une pseudo-star, d’une boîte qui licencie une partie de son personnel, etc.
Est-ce que c’est cela la réalité ?
Oui, c’est une partie de la réalité et le journaliste informe le lecteur en enquêtant sur le terrain et en rendant compte de son enquête.
Est-ce que c’est toute la réalité ?
Non, bien sûr que non. Et c’est là que le blogueur trouve un immense champ d’inspiration et d’action. Il y a une autre actualité souvent plus heureuse et positive (ll y a un vrai et immense public pour ce genre d’actualité. Voyez l’engouement autour de la chanson « Happy » et des centaines de vidéos amateurs qui ont été publiées et diffusées sur youtube. En voici un aperçu sur le blog « humain au cœur du numérique » d’Eric Messeca). Il va enfin faire basculer la balance du monopole de la presse nationale. Son rôle est digne de considération car il va être un facteur de la hausse du moral des consommateurs d’infos !
Le Blogueur Professionnel
On trouve le blogueur amateur (il le fait pour son plaisir) qui a un moyen simple de parler et de partager sa passion comme la cuisine ou les voyages pour citer les thèmes les plus populaires.
On trouve le blogueur professionnel (il le fait par plaisir mais aussi pour gagner sa vie, c’est souvent un free-lance qui profite du statut d’auto-entrepreneur) qui met en relief la passion ou du métier d’un autre. Il raconte la naissance d’une idée qui a conduit à la création d’une marque ou d’un produit, il raconte l’histoire d’un homme ou d’une femme qui a rêvé, a cru à son rêve et qui a eu la force de passer du rêve à l’action.
La première étape pour le rédacteur web est la plus importante. Pour développer un blog pro, il faut réussir à transformer l’activité pro d’un autre en passion pour soi. Ensuite, il suffit de raconter.
Je me place à l’extérieur et je me prends de passion pour les activités d’une entreprise. Finalement cela revient à dire que j’écris comme si j’étais le lecteur. C’est ce qui fait toute la différence et explique pourquoi les blogs ont un tel succès.
Mon rôle est aussi de passer du temps sur ces autres morceaux de la réalité que sont les réseaux sociaux et la blogosphère car c’est là que je trouve souvent mes sujets. Un tweet par exemple peut-être le début d’un article. En considérant cet aspect, on peut dire que le rédacteur web est un journaliste-rédacteur qui observe et rend compte de ce qui se passe dans le monde numérique.
Le rédacteur web est un metteur en scène. Cette caractéristique le distingue immédiatement du journaliste-rédacteur qui devrait se contenter de rendre compte d’un fait ou d’un événement. Comme un journaliste sportif qui raconte les actions d’un match de foot ou un journaliste local qui décrit les circonstances d’un accident.
Le Concepteur Rédacteur Web
Le rédacteur web utilise son imagination et il convient alors de parler d’un concepteur rédacteur web.
Il va mettre en scène des personnages, des lieux, des rencontres et des actions. Il y a un début et une fin dans son récit. Pour cela, il dispose d’un espace réduit d’environ mille ou deux mille mots, comme un cinéaste qui dispose de deux heures pour adapter à l’écran un roman de six cents pages.
C’est un exercice de style à la fois rigoureux et qui demande une grande créativité.
Techniquement, il ne choisira que quelques éléments car il ne peut pas tout raconter. Son talent consiste à lier ces éléments de telle façon que le lecteur oublie complètement qu’il est devant son iPad et qu’il plonge dans un autre contexte, une autre atmosphère.
Quand vous lisez l’article d’un journal, vous êtes un lecteur spectateur, vous êtes passif. Quand vous lisez l’article d’un concepteur rédacteur web, vous faites partie de la scène, vous êtes l’un des acteurs.
J’aime cet aspect imaginatif, c’est la raison pour laquelle j’écris des blogs. Le blog est le support idéal pour moi, celui qui s’adapte le mieux à mon style et à ma démarche créative.
J’ajoute que la marque préférera un blogueur à un journaliste, car notre démarche est la même. Une marque est le résultat d’une démarche créative. Et c’est exactement ce que je fais quand j’écris et je mets en scène mes articles. On est similaires. Qui se ressemble, s’assemble.
De l’employeur au mécène
Enfin, j’estime que la marque ou l’entrepreneur qui met un blog dans les mains d’un rédacteur web se comporte comme un mécène. Un directeur de journal qui met une rubrique dans les mains d’un journaliste se comporte comme un employeur. Cette remarque n’est pas anodine et elle me permet de souligner que nous sommes en train de vivre – avec développement des nouvelles techniques de l’information et de la communication – un changement au moins équivalent (et bien plus rapide) à celui initié grâce à l’invention de l’imprimerie.
L’information est maltraitée si on la traite comme si rien n’avait changé et si on ne prend pas le temps de s’interroger sur le potentiel du support digital. Il nous appartient ensuite d’exploiter à fond ce nouveau support.
A ce sujet, je vous invite à lire les écrits de Michel Serres. Voici un extrait de son livre « Petite Poucette »
« Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias… »
Lire ou relire
la deuxième partie de cette interview : Les mots sont-ils maltraités (sur les réseaux et ailleurs) ?
la première partie : Quelles différences faites-vous entre un journaliste et un rédacteur web ?
Et l’article en français : Digital Storyteller For Ever… Est !
6 commentaires
Loic · 30 octobre 2015 à 12 h 32 min
Bonjour Denis,
Quelle belle interview et quelle belle découverte qu’est celle de votre blog. J’ai senti à travers vos réponses un amour profond du blogging et du digital que j’ai très rarement trouvé ailleurs.
Au plaisir de vous relire.
Eric Messeca · 20 octobre 2015 à 15 h 18 min
Une belle explication sur les différences entre les métiers issus du passé et ceux arrivés de l’avenir. Pour evoluer il ne suffit pas que numériser son ancien métier. Nous vivons une révolution de la relation humaine qui entraîne celle des métiers qui deviennent positivement au service de la qualité de vie de l’homme. Merci Denis pour la citation de mon blogue.
Monencre · 20 octobre 2015 à 11 h 23 min
Excellente cette troisième partie qui analyse très bien le rapport au support et à l’information. Cela me rappelle un film dans lequel un personnage dit : tu dois imaginer ce qui manque.
jacquestang · 20 octobre 2015 à 10 h 31 min
J’aime cette idée d’un focus sur une réalité. D’une réalité dans laquelle chacun à la capacité d’être un acteur de l’information qu’il lit. Le blogueur propose l’interaction, un média qui interroge, explique, comprend, suscite tout autre chose que l’indifférence convenue des médias traditionnels. Un article à partager avec avidité.
Les mots sont-ils maltraités sur les réseaux sociaux et ailleurs ? · 16 janvier 2018 à 15 h 03 min
[…] à suivre… […]
Un expert (du web) n'est jamais seul ! - More Than Words · 21 novembre 2016 à 15 h 50 min
[…] quelques années que Maud avait été journaliste, je l’aurais interrogée pour mes articles sur les différences entre le journalisme et le blogging. Si j’avais su qu’Anthony avait été directeur d’un magasin dans la grande distribution, […]