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J’aurais pu rencontrer Abdelhamid Niati en attendant le bus 183 entre la Porte de Choisy et l’aéroport d’Orly, dans une librairie de Vitry-sur-Seine ou sur les marchés d’Ivry-sur-Seine. Pendant plus de trente ans, on a fréquenté les mêmes lieux et un jour, nous ne le saurons jamais, nos regards se sont peut-être croisés. Mais la véritable rencontre, celle qui ne souffre d’aucune hypothèse, a eu lieu sur les réseaux sociaux. Sur Viadeo, un réseau à la mode au début des années 2000 et dont certains d’entre vous se souviennent sûrement. Je lançais des débats populaires et Abdelhamid avait pris l’habitude de les commenter. Abdelhamid est mon ami le plus fidèle sur les réseaux sociaux. C’est certain, nos lieux communs ont forgé des liens profonds. Quand j’ai lancé ce nouveau concept d’interview basé sur le storytelling, il a été le premier à cliquer sur « j’aime » et il a voulu y participer. Ca tombe bien parce qu’il y a bien des choses que j’avais envie de savoir. Ce sont ces choses que l’on sait de l’autre parce qu’on fréquente les mêmes lieux dans son enfance comme une école, un terrain de foot ou un jardin public.

so please now Abdelhamid, tell me something I don’t already know.

Cette interview se base sur les principes du blog, des réseaux sociaux et du storytelling. On part de sa propre histoire pour découvrir l’inconnu et apporter quelque chose de nouveau aux lecteurs.

Il y a 5 questions communes et une question personnalisée.

1- Dis-moi quelque chose de ton enfance

abdelhamid-niatiJ’ai eu une enfance si particulière que répondre à cette question s’avère complexe.  A 3 ans, dans les bras de Morphée, dame maladie est venue me bercer.  Elle est entrée en moi et sa puissance m’a réveillé de manière convulsive. Une fois la peur et le liquide lacrymal qui en découlent évacués, J’ai vécu avec cet hôte non désiré pendant sept longues années. Dans un premier temps, j’ai tenté de le repousser sans succès. Ensuite et assez rapidement est venu le temps de la tolérance. Je le tolérais seulement ou plutôt l’ignorais comme s’il n’était pas là. Seules mes visites à l’hôpital le 1er lundi de chaque mois me rappelaient sa présence. Le docteur Joly (un nom comme celui-ci donne envie de consulter) qui le connaissait mieux que moi s’est vu confier la tâche de s’en occuper. Hors de question pour moi d’occuper mon esprit avec ça, car j’avais une vie d’enfant à mener. Une vie d’enfant plus proche des adultes, car cette étreinte m’a montré, très tôt ma condition de mortel et les alternatives possibles.  Pour tromper la maladie, j’ai construit tout un univers parallèle à l’aide de mon imagination. Cette création est la résultante de questions que je me suis posées en voyant les personnes aller et venir dans les couloirs aseptisés du CHU. Une simple silhouette et je dessinais le reste. Je donnais un visage à cette silhouette, l’escortais par la pensée, jusqu’à une chambre. Je la sentais ressortir et la voyais quitter l’hôpital et rentrer chez elle. Je parvenais même à lui donner une famille, une maison  et un chat (j’ai toujours préféré les chats du fait de leurs non-dits qui en disent long).  J’éprouvais beaucoup d’ennui dans la salle d’attente et lorsque le médecin parlait de mon cas avec un membre de ma famille, mes yeux scannaient la pièce d’un œil neuf à chaque nouvelle visite. J’absorbais le vocabulaire médical, imaginais des histoires dans mon univers parallèle.  Ma pensée du moment aurait pu se traduire par ces mots : «chère maladie, tu es là pour le moment, mais je ne te laisserai jamais me réduire à néant, car tu n’es qu’un obstacle plaisant à surmonter. Tu es une épreuve et sans le savoir, tu viens de donner une saveur sans équivalent à mon existence. En cela je te distingue de la mort ». Cette maladie a fait exploser mon imagination et ma révolte. Il était hors de question de me laisser aller et j’absorbais chaque minute, chaque centimètre de ma vie, de mon entourage.  Je ne laissais rien au hasard, m’attardais sur les détails et ainsi mon côté perfectionniste est né.  Un perfectionniste accompagné d’un sérieux goût pour les défis et la curiosité. J’ai assouvi ma curiosité pour partie dans les livres et dans le monde qui m’entourait. Mon imagination était telle que la frontière entre rêve et réalité était floue, au point de ne pas voir de limites au possible.

2- Dis-moi quelque chose que tu vois en ce moment autour de toi

Je vois des personnes qui souffrent, d’autres qui résistent, d’autres encore qui construisent en dépit des éléments. Je vois une énergie formidable à travers des personnes qui font d’immenses choses à partir de peu. Ces personnes ne sont pas envahies par le doute, mais par une foi en l’avenir. Parmi ces personnes il y a des personnes de tout âge  qui viennent en aide aux plus démunis et ne relâchent jamais leurs efforts  pour soutenir les autres. Ils font cela tous les jours avec une énergie incroyable. Cette dynamique en fait des éléments moteurs suivis par d’autres personnes toujours plus nombreuses. J’observe énormément de forêts pousser dans les environnements et les situations les plus hostiles.  Des personnes osent rêver et tout faire pour concrétiser leur rêve.

3- Dis-moi quelque chose d’une personne que tu admires

Observe, comprend, agis. Mon père a donné ce conseil  à ma sœur alors qu’il réparait un appareil à la maison. Cela signifiait observe attentivement et apprend. Ainsi tu pourras mieux saisir le fonctionnement de l’appareil. C’est aussi lui que j’observais avec ses mains magiques. Une montagne d’humanité au cœur fruité dont le regard se posait sur les âmes et les cœurs chagrinés. Quand il ne me prenait pas dans ses bras pour m’étreindre de son amour, je marchais près de lui et nos regards synchronisés par le même ADN, se posaient sur les mêmes endroits ou personnes.  L’observation était le premier pilier et lors de nos promenades dans Paris,  il  me montrait ce que personne ne regardait. Au sommet d’un immeuble haussmannien une phrase, sur le côté le nom du maître d’œuvre et du maître d’ouvrage.  Il y avait également les quiz géographiques de Paris. A la question quelle est la rue la plus longue, très tôt j’ai su répondre Vaugirard. J’ai compris à travers ses yeux qu’il voyait mes douleurs mes peines et mes hésitations. Il savait les guérir avec de simples mots et son regard. De son deuxième pilier, il comprenait sa chair, sa descendance. Il faisait ça avec tout le monde et prodiguait des conseils et apportait son aide par sa bouche et ses bras. Il écoutait toujours plus qu’il ne parlait. Il comprenait vraiment, car il regardait vraiment le monde.   Le troisième pilier était quotidien, en agissant pour sa famille, les voisins, les inconnus.  Il trouvait toujours les bonnes réponses aux problèmes des personnes (nombreuses) qui le connaissaient ou croisaient sa route. Il était la figure en point de fuite. Je te laisse imaginer une personne à l’horizon qui te fait signe de venir parce qu’elle a tracé une route pour toi.  Il a transmis ce fameux triptyque à tous ses enfants avec le conseil de le répéter et de ne jamais rien attendre en retour. Son métier d’électricien dans les travaux publics n’était peut-être pas un hasard. Il apportait la lumière dans l’obscurité. Il l’a fait du quartier de Grenelle à Roland-Garros en passant par le POPB et j’en passe (la liste est longue). Bien plus que de longs discours, il  nous a donné les mots clefs pour ouvrir les portes de la sagesse. Ce dernier mot le caractérise parfaitement. Un homme à la démarche élégante, et à la personnalité unique. Je suis son fruit.

4- Dis-moi quelque chose que tu n’as jamais dit sur les réseaux sociaux

La première question en est un bel exemple, car parmi mes amis proches, peu connaissent mon enfance.  Je suis un solitaire qui rêve de vivre ailleurs. Je ne vois rien d’autre. Je dois en garder pour mon premier roman.

5- Dis-moi quelque chose du futur

Le futur, on le construit tous aujourd’hui. Pour  moi les différences sont des sources inépuisables d’enrichissement donc je vois plus de rencontres et d’échanges dans la vie de tous les jours que sur les réseaux sociaux. Je veux voir la colère contenue et la haine asphyxiée par la richesse des échanges entre humains. Pour cela, parler à son voisin est une première étape, puis l’étage du dessous et du dessus doivent suivre, puis le quartier, la ville, la région, le pays, le continent. L’humanité trouvera son salut dans les échanges  et le partage. Les associations d’entraide nous prouvent tous les jours que cela est possible. Ces personnes donnent sans compter sans demander de lauriers et créent l’adhésion des cœurs au lieu de la répulsion.  Le cœur, le myocarde, muscle central et vital sera décloisonné pour adhérer à d’autres cœurs et éviter la suffocation des âmes.  J’avance de cette manière sans me dire que demain c’est la fin. Prendre chaque jour comme il vient et y mettre tout son cœur sera la clef d’un futur riche.

Question personnalisée : Abdelhamid Niati, dis-moi quelque chose de Vitry-sur-Seine (question pas évidente, car je te rappelle que tu dois dire quelque chose que je ne sais pas encore et Vitry c’est 30 ans de ma vie avec la moitié de ma famille qui y habitait. Autrement dit, une bonne partie de mes souvenirs sont liés à cette ville et à Ivry aussi bien sûr).

Il y a quelques mois de cela, toi et moi parlions du 183 bus reliant la Porte de Choisy à l’aéroport d’Orly. Tu m’avais rappelé à quel point prendre ce bus était un cauchemar du fait de la route pavée qu’il empruntait. Un trajet sismique que beaucoup empruntaient et empruntent tous les jours au point de préférer rester debout qu’assis. Cette route, la RN 305 devenue RD5 n’est autre que l’ancienne voie royale reliant Vitry-sur-Seine à la capitale. A croire que la vie d’un roi est secouée et qu’il ne fait pas bon s’assoupir sur son trône.  Autre chose, un tramway reliait Vitry au pont de la Concorde par sa voie 7ter au début du XXe siècle.

Merci, Abdelhamid, j’ai peur que notre histoire du 183 ennuie les lecteurs, mais entre les deux citations de « autobuesque », ils ont vraiment dû être secoués, dans le bon sens du terme. La dernière question est pour les lecteurs : d’après vous, Abdelhamid Niati vous a-t-il dit quelque chose que vous ne saviez pas encore ?

Retrouvez Abdelhamid Niati sur son blog « Mon encre » (ici, je vous amène à la réflexion !) et tous les jours sur #jeblogue, le groupe de la réciprocité entre blogueurs.

A lire aussi : Aisha Sylla, tell me something I don’t already know


Denis Gentile

Je suis un passant. Ici et maintenant, je suis un passant du web. Le Passant est celui qui va d'un lieu à l'autre, d'un sentiment à l'autre, il n'est jamais le même. Je passe d'une page à l'autre, d'un blog à l'autre, d'un message à l'autre. Et ces pages, ces blogs et ces messages, je les passe aux autres passants qui y passent à leur tour :) Plus prosaïquement, je suis un Storyteller, Blogueur & Rédacteur Web. Mais le rôle que je préfère, c'est celui de Digital Storyteller !

4 commentaires

Yubia · 23 mars 2016 à 12 h 44 min

Merci Abdelhamid pour ces souvenirs qui font échos aux miens <3 c'est parfois difficile de revenir sur son enfance, sur ses souvenirs, ses lieux et ses personnes qui l'ont marqué à l'encre indélébile. Si un jour je passe par Vitry, je penserai à cette voie royale qui secoue 😀

Abdelhamid Niati · 22 mars 2016 à 11 h 51 min

Bonjour Claire,

Je te remercie pour ton commentaire. Une enfance particulière, en effet. J’apprécie ces interviews que seul Denis réussit à faire.

Claire · 22 mars 2016 à 9 h 49 min

Bonjour Denis, bonjour Abdelhamid,

Je suis très touchée par ce témoignage. Je ne savais rien de l’enfance d’Abdelhamid. Je comprends mieux la personne qu’il est.

Globalement, merci pour ces interviews car elles permettent de passer du « virtuel » (c’est à dire quelque chose de froid) à une intimité que seule la « vraie » vie permet, à mon sens. 🙂

Claire

Le web français a été inventé pour ceux qui n'ont jamais aimé lire ! - More Than Words · 23 mars 2016 à 15 h 38 min

[…] bien commun qu’est la langue française. Le web permet aussi de découvrir de vrais talents comme Abdelhamid Niati et Nawel Merah. Je vous invite à lire leurs articles sur ce blog avec votre iPad, si vous en […]

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