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La question « Pensez-vous que la langue française soit un obstacle au développement des réseaux sociaux en France ? » vient à-propos suite à des discussions que j’ai lancées sur Linkedin relatives à mon métier de correcteur et si l’écrit était en voie de disparition. Votre question est tout aussi vaste.

Vous connaissez sans doute ma réponse, due au fait que mon métier est lié au statut que l’on accorde au message écrit, au bon usage et à la bonne maîtrise de la langue française. La manière dont les gens et peut-être plus particulièrement les jeunes appréhendent l’écrit a bien changé, c’est dû sans aucun doute à l’usage que nous en faisons avec les SMS, les tweets limités à 140 caractères, ces contacts épistolaires ou qui nécessitent une orthographe simplifiée.

L’orthographe passe au second plan

Suite à des commentaires relatifs à l’une de mes discussions lancées justement sur un réseau social, une personne me répondit ceci : « L’ensemble de ces commentaires démontre combien l’orthographe passe de plus en plus au second plan dans les nouvelles pratiques de la lecture. On peut se demander dans quelle mesure l’impact de la langue anglaise, le déclin de la langue française dans les littératures scientifiques et techniques et surtout le recul global de la pratique de la lecture longue n’auront pas un effet radical et destructif tant sur les fonctions du correcteur que sur le budget qui est encore consacré à la relecture et à la correction. Les dommages ne se mesurant qu’à l’aune de la connaissance, la faiblesse de langue française ne sera mesurée que par une frange infime de la population ».

L’excuse peut en être que nous sommes dans le flux et bien souvent, hélas, les idées priment sur la syntaxe et la bonne écriture. Et j’ai bien conscience que pour moi aussi, dans ma pratique quotidienne, cela est loin d’être évident tant la langue française recèle de pièges. Ne dit-on pas que l’erreur est humaine ! On voit toujours mieux les fautes des autres que les siennes.

Qui achèterait une voiture sans frein ?

Une autre personne me répondait : « En tant que lectrice, je déteste avoir acheté un livre que je découvre non corrigé : l’absence de correction humaine se voit non seulement au nombre de coquilles, mais également à la structure des phrases, à la ponctuation, ou encore dans la présence de pléonasmes. Cela me donne l’impression d’avoir été flouée par l’éditeur. Achèterait-on une voiture qui n’aurait pas subi de tests sur ses finitions ? Accepte-t-on que la boîte à gants ne ferme pas ou que le siège conducteur soit fixe sans possibilité d’avancer ou de reculer ? Alors, pourquoi accepter des ouvrages imprimés dans lesquels l’outil principal : la langue française, est malmené ? ». Je m’écarte sans doute un peu de la question puisqu’ici il s’agit de la langue française, de sa pratique et de son bon usage dans les réseaux sociaux.

Qui achèterait une voiture sans frein ?

Une autre personne me répondait cette semaine – ce dont j’ai trouvé terriblement déprimant – et cette situation pourrait s’appliquait aux réseaux sociaux : « Les mots sont en voie de disparition. Le vocabulaire part en déliquescence. L’échange verbal est minimaliste avec la plupart des gens. De même niveau qu’un programme de TV. À croire que le commun des mortels est ignare ou a oublié le pouvoir, le charme, le rire… et la méchanceté des mots. L’écrit, oui, s’en va à vau-l’eau, mais les mots commencent même à disparaître. »

Pour en revenir à votre question, la langue française dans sa non-maîtrise peut être un obstacle pour chacun de nous dans le développement de son réseau, il me semble que cela relève étroitement de sa e-réputation. Pensez-vous qu’en tant que community manager vous pouvez prétendre être crédible si les billets que vous publiez sont bourrés de coquilles. Honnêtement quand je reçois une candidature d’une personne qui souhaite collaborer en tant que correctrice à mes côtés et si son message comporte cinq coquilles sur 10 lignes, je ne la considère pas comme crédible. Comme un post sur un hub de Viadeo, même si le sujet de discussion est infiniment intéressant, parfois je ne poursuis pas ma lecture parce que le message comporte trop de fautes. Cela me pousse, selon la fonction de la personne à souhaiter la suivre, me mettre en relation avec elle ou non.

La langue comme facteur d’intégration ou d’exclusion

En lançant une rapide recherche sur Google, je suis tombée sur ce document http://www.dglf.culture.gouv.fr/maitrise_langue/Actes_colloque0806051.pdf

Voici ce que j’en ai extrait très rapidement : « Si la langue est en effet le premier des liens sociaux, elle constitue également la première des exclusions. La maîtrise de la langue est un facteur essentiel dans l’exercice plein et entier des droits de citoyen. Elle est la condition fondamentale pour l’intégration et l’épanouissement dans notre société […] ».

Moult métiers réclament une bonne possession de la langue écrite.

« Le domaine du travail est aujourd’hui plus mouvant et réclame de plus en plus des compétences transversales pouvant être transférées d’une situation de travail à une autre. En dehors des compétences techniques, il est donc nécessaire de posséder des compétences langagières […]. Tous nos interlocuteurs ne perçoivent pas la maîtrise de la langue comme une compétence professionnelle. Celle-ci est davantage reconnue comme une compétence personnelle ou sociale. Le traitement social de la question qui s’est révélé être un levier à un moment donné peut, aujourd’hui, devenir un frein. […]. L’apprentissage de la langue est, en France, un enjeu fondamental en matière d’insertion professionnelle. La non-maîtrise de la langue est en effet un obstacle en termes d’accès à l’emploi et de progression de carrière. »

L’écrit a désormais une place centrale en situation de travail. D’ailleurs dans ce document une situation dans une entreprise a été rappelée. Il avait été demandé aux agents de maîtrise de quitter le terrain pour se consacrer au management des équipes. La DRH s’est aperçue que les stages de management étaient inefficients car les salariés ne maîtrisaient pas les écrits professionnels. Ils n’étaient par exemple pas capables d’utiliser les supports écrits pour conduire les entretiens annuels d’évaluation. Ils n’étaient pas davantage en mesure de remplir valablement les déclarations d’accident. Avec le développement de la messagerie électronique, la société s’était aperçue qu’un certain nombre de collaborateurs adoptaient des stratégies de contournement et ne renvoyaient pas les messages car ils se trouvaient en difficulté face à la maîtrise de l’écrit.

La langue française est un levier

La maîtrise de la langue française sur les réseaux sociaux est indissociable de la question de la maîtrise de celle-ci en milieu professionnel. Sur des réseaux sociaux comme Viadeo, Linkedin, il est rare de ne pas y rencontrer des professionnels, ce qui explique le fait que nous y soyons. Les personnes y représentent bien souvent leur entreprise, eux-mêmes et leur propre entreprise quand ils sont freelances. Une polémique avait été lancée à un moment suite à des licenciements qui avaient été la conséquence de propos tenus par certains sur leur société, leur patron. Si la net-étiquette passe par les propos tenus sur ces réseaux, les photos, vidéos que l’on peut diffuser, je pense que notre e-réputation passe, peut passer ou peut-être devrait passer par un minimum de maîtrise de la langue française dans les messages que nous diffusons.

Pour des personnes qui se trouvent en difficulté face à la maîtrise de l’écrit, cela peut peut-être les rebuter d’être sur les réseaux sociaux, tout comme pour ceux qui ont une certaine maîtrise, ils vont plus systématiquement se sentir à l’aise de participer à certaines discussions, de faire partie de certaines « communautés », de « pousser » la mise en relation « virtuelle » en souhaitant rencontrer d’autres membres lors de réunions en face à face. Et là la langue française est ici et peut être, je ne sais si les gens en sont conscients ou non, un levier certain.

Florence Augustine

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Florence Augustine

Depuis 2004, je suis correctrice et rédactrice de débats, spécialisée dans la gestion de la qualité des écrits et la couverture écrite de manifestations. A cet égard, je collabore avec des cabinets de conseil en lobbying, agences de communication et de relations presse, éditeurs, associations, fondations, des comités d’entreprise sur la France entière. Au quotidien, je suis confrontée à la non-maîtrise des difficultés de la langue française, du moins aux bases du français. A cet effet, je propose désormais des formations collectives en entreprise, ou individualisées, pour tous ceux qui souhaitent, dans une démarche professionnelle, approfondir ou renforcer leurs connaissances, pour acquérir une plus grande autonomie au niveau de l’expression écrite.

10 commentaires

Anne Remaud · 26 juillet 2011 à 9 h 49 min

Bonjour,
Je rebondis sur votre propos pour l’illustrer d’un exemple concret dans l’univers professionnel. Si nous revenons à peine 10 ans en arrière, les métiers d’accueil dans une entreprise ou une collectivité reposaient à 90 % sur du contact direct ou de l’échange téléphonique. Le développement des nouvelles technologies, en particulier l’Internet, qui dématérialise la relation, oblige les personnels (pas forcément formés ou qualifiés) à répondre par écrit et dans les meilleurs délais. Et nous n’avons pas souvent accompagné de moyens ces changements majeurs… Certains de nos collaborateurs se retrouvent en situation d’échec et s’écartent de ces nouvelles pratiques. Au-delà de la maîtrise de l’outil, qui bénéficie souvent d’une formation sommaire, les fondamentaux de la langue française (même si la tâche est vaste) nécessitent souvent un apprentissage, une réappropriation et ils sont pourtant majoritairement absents de nos plans de formation professionnels.
En outre, il serait sûrement mal perçu de devoir demander d’effectuer une mise à niveau en français.
La généralisation en entreprise de petits modules de formation de bases de français permettrait peut-être de sensibiliser les agents à la question et éviterait la stigmatisation de ces collègues « allergiques à l’orthographe » et autres merveilles de la langue française…

Florence Augustine · 28 juin 2011 à 21 h 25 min

Bonjour Bertrand,

Vos remarques sont tout à fait intéressantes et justes. Elles m’inspirent déjà d’autres sujets de réflexion.
Nous avons une langue qui peut nous permettre de « jouer » avec ses subtilités et cocasseries, tout autant que la non-possession de ses bases peut être un facteur bloquant.
Pour autant, elle permet, comme vous le dites, de communiquer et en aucun cas, il ne faudrait s’en priver.

Merci à vous d’être passé sur ce blog !

Bertrand · 28 juin 2011 à 9 h 41 min

Bonjour,
Votre « papier » m’inspire quelques remarques que je vous livre ci-après :

Quand « tirer la langue » est preuve de politesse…

La langue française est riche, belle, musicale… et difficile de l’avis de tous.
Quoi qu’il en soit, elle permet surtout de communiquer c’est-à-dire d’échanger des idées, des points de vue, des concepts, des informations, des ressentis… Maîtriser une langue comprend trois fonctions : comprendre, parler, écrire.

Mais une langue ne se résume pas à la pratique correcte d’une grammaire et de règles d’orthographe. Une langue se révèle à la fois un ensemble délicate et complexe. En effet, ce « média » propose l’image d’une société en ce qu’elle est composée de termes et d’expressions issus de l’histoire, de l’imaginaire, d’un état d’esprit, d’une philosophie.. en un mot d’une culture.

Alors pourquoi s’efforcer de maîtriser une langue, dans ses trois aspects majeurs et s’attacher à en connaître les aspects grammaticaux et orthographiques ?
Simplement pour « faire sérieux et montrer son professionnalisme » ? Certes oui, sans hésiter mais aussi par respect de cette culture et par souci d’intégration, à tous les niveaux. Maîtriser la grammaire et l’orthographe permet l’émergence d’échanges subtils et la pratique de l’humour, des jeux de mots : moyens très utiles pour nouer des contacts humains et partager un état d’esprit. Même si, pour se comprendre, ces éléments ne sont pas absolument nécessaires, ils ouvrent des portes essentielles à la communication.

Pratiquer correctement une langue s’affirme, surtout, comme une preuve d’intérêt pour celui ou celle avec lequel il est proposé d’échanger ainsi que pour son « monde ». Ne sommes-nous pas admiratifs et flattés lorsqu’un étranger s’adresse à nous dans un « français remarquable » ou produit des efforts pour prononcer correctement, ou écrire, notre langue ? Cette « politesse » ne nous touche-t-elle pas ?
En ce qui me concerne, j’y suis très sensible. Je mets donc un point d’honneur à manifester tout le respect que j’ai pour mon interlocuteur en utilisant une grammaire et une orthographe soignées… même si, comme chacun, je produis un certain nombre de « fôtes » et autres coquilles par manque de temps ou de concentration.

Orthographe et grammaire facteurs d’intégration ? Oui, mais surtout, de mon point de vue, preuve de l’attention portée à l’autre… ce qui effectivement tend à se perdre avec le recours massif aux NTIC et l’oubli de « basiques » : tels que « bonjour », ‘s’il vous plaît », « merci »…
Alors oui, j’insiste, « tirer la langue »… vers le haut et s’efforcer d’en promouvoir une pratique soignée constituent autant de preuves de politesse.

Et à propos…
Merci d’avoir pris un peu de votre temps pour parcourir ce billet.

    roux · 29 juin 2011 à 13 h 10 min

    On a supprimé l’enseignement du grec à l’école ce qui est fort dommageable car il représente les racines de beaucoup de mots français. Le français est une langue complexe? Tant mieux, cela oblige à réfléchir, apprendre, apprendre même par coeur, faire des efforts… sans ce genre d’apprentissage, peu de choses sont possibles. L’anglais a lui aussi ses nuances, mieux vaut avoir compris ce que cela veut dire dans sa propre langue. Parfois je suis désolée de constater le résultat sur l’écriture des jeunes mais en effet, les entreprises privées de cours particuliers fleurissent. Sinon on retournera à une élite privilégiée qui, seule, saura lire et s’instruire à partir de textes écrits. Les « illettrés » reprendraient sans doute alors la force de remonter la pente.

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