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Longtemps je me suis couchée tard…

Oui je sais, c’est pas bien hein ? Mais que voulez-vous, j’écris mieux le soir ! Quand j’étais plus jeune (no comment…), je commençais à travailler tôt le matin et je quittais le bureau bien vite en fin d’après-midi pour m’évader. Et aujourd’hui (avec l’âge, me direz-vous ?), c’est l’inverse, allez comprendre ! Enfin tout ça pour vous dire que :

Marcel Proust n’aurait pas été un bon rédacteur web !

PROUST : photo de Rebecca Campeau (cliquez sur l'image)

Imaginez un peu, il était capable d’écrire une phrase de plus de 200 mots ! Quand on sait que pour être efficace, il faut faire court et percutant ! Les idées partent dans tous les sens, Marcel, tu te perds dans les digressions. On nous l’a répété maintes fois, il ne faut pas avoir à « scroller » ! Comment veux-tu ne pas utiliser l’ascenseur avec une phrase de plus de 25 lignes ? Tu n’aères pas ton texte, tu ne fais ressortir aucun mot en gras, tu ne mets pas de lien pour faire rebondir le lecteur. Et les mots-clés, parlons-en, ils sont quasi inexistants…

Bon allez, sur ce, je vais me manger une petite madeleine…

« Mais au lieu de la simplicité, c’est le faste que je mettais au plus haut rang, si, après que j’avais forcé Françoise, qui n’en pouvait plus et disait que les jambes  » lui rentraient « , à faire les cent pas pendant une heure, je voyais enfin, débouchant de l’allée qui vient de la Porte Dauphine – image pour moi d’un prestige royal, d’une arrivée souveraine telle qu’aucune reine véritable n’a pu m’en donner l’impression dans la suite, parce que j’avais de leur pouvoir une notion moins vague et plus expérimentale, – emportée par le vol de deux chevaux ardents, minces et contournés comme on en voit dans les dessins de Constantin Guys, portant établi sur son siège un énorme cocher fourré comme un cosaque, à côté d’un petit groom rappelant le « tigre « de » feu Baudenord », je voyais – ou plutôt je sentais imprimer sa forme dans mon coeur par une nette et épuisante blessure – une incomparable victoria, à dessein un peu haute et laissant passer à travers son luxe  » dernier cri « des allusions aux formes anciennes, au fond de laquelle reposait avec abandon Mme Swann, ses cheveux maintenant blonds avec une seule mèche grise ceints d’un mince bandeau de fleurs, le plus souvent des violettes, d’où descendaient de longs voiles, à la main une ombrelle mauve, aux lèvres un sourire ambigu où je ne voyais que la bienveillance d’une Majesté et où il y avait surtout la provocation de la cocotte, et qu’elle inclinait avec douceur sur les personnes qui la saluaient. »

Marcel Proust « Du côté de chez Swann »  

Cécile Courtais

Tous les lundis, de nouveaux articles de Cécile Courtais sur morethanwords.fr

A lire du même auteur :

– Politesse : Les internautes sont pressés

– Le hasard n’existe pas

– La démocratie passera-t-elle par le web ? 

– « Ce n’est pas comme cela que vous réussirez dans la vie »


9 commentaires

Cécile · 14 octobre 2011 à 7 h 51 min

Bonjour,
et merci de votre commentaire. Quelle coïncidence ! Nous nous sommes naturellement rejoints sur ce sujet à propos de Proust. Je suis allée visiter votre site, votre article est très intéressant. N’hésitez pas à venir participer et à commenter les autres articles du blog des auteurs.
Bonne journée et à bientôt j’espère !
Cécile

Rédacteur pluriel · 13 octobre 2011 à 22 h 08 min

Carrément d’accord! Comme je l’écris dans mon récent billet sur la concision en rédaction web (http://www.protextuel.com/redaction-web-concision/): « Evitons donc de nous prendre pour Proust! L’enchaînement interminable de subordonnées, ça fait son petit effet. Mais se fera-t-on clairement comprendre par l’internaute? Rien n’est moins sûr. » Le fait d’avoir collé la citation en italique ajoute encore au sentiment a priori de répulsion envers ce texte pas concis, ni aéré. Mais je ne juge en aucun cas sa qualité littéraire… Car je l’avoue, j’avais été étonné à l’époque (lycée) de plutôt crocher à la lecture de « Du côté de chez Swann »…!

Cécile · 28 juillet 2011 à 9 h 42 min

Bonjour Philippe,
désolée de ces considérations météorologiques d’hier mais vous savez, nous les méridionaux, quand le soleil n’est pas au rendez-vous, le moral non plus !
Je veux résolument continuer à plonger dans une mer de mots pour reprendre votre citation, je n’apprécie pas le travail de surface (et je n’ai absolument rien contre les techniciens de surface !). Alors rédacteurs et passionnés des mots de tous les pays, unissons-nous !

Philippe de Casabianca · 28 juillet 2011 à 6 h 29 min

Bonjour Cécile
Bruxelles en eaux, Bruxelles prends les eaux, Bruxelles night and day, que voulez vous???

Je crois qu’internet a changé certaines habitudes en effet quant à l’usage de certaines parties de notre cerveau. Un de ses avantages, les hyperliens mais aussi le rapport à l’écran, comportent des avantages de connectivités mais aussi des inconvénients comme la mise au rencart d’une certaine écriture, cf la tombe de Proust même si ce dernier n’est pas ma madeleine préférée. Le rapport à l’écran est intéressant en ce sens qu’il nous fait voir le texte d’abord sous le format d’une image. Ce n’est qu’ensuite que notre cerveau doit faire le schéma d’abstraction. Ainsi donc si internet a le souci louable d’accrocher le lecteur, cf mon article par exemple sur la Turquie, il ne doit pas pour autant nous pousser à gommer toute profondeur.

Car, autre citation de mon topo NTIC (je suis incorrigible!!): « Tout prise de recul, tout iconoclasme sur les Nouvelles Technologies n’est donc pas à brûler ipso facto. Certains iconoclasmes ne sont dailleurs pas dénués de charme, ainsi Nicolas Carr dans Google nous rend il stoopide ? : « Auparavant, j’étais plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski ». Les techniciens de surface ont sans doute de l’avenir. Tout le monde veut-il donc postuler ? »

Cécile · 27 juillet 2011 à 12 h 32 min

Bonjour Philippe,
Le soleil est-il au rendez-vous à Bruxelles ? Ici à Montpellier, c’est grise mine… Moi qui ai déménagé de Lille, me voici bien avancée…
Bref, revenons à notre sujet : quand j’écrivais « changement », je pensais changement de comportement des internautes, les guider pour appréhender internet avec un autre regard.
A bientôt de vous lire !

Philippe de Casabianca · 27 juillet 2011 à 6 h 56 min

Amorcer le changement… Oui, nous avons certainement une responsabilité comme professionnels et amoureux de l’information ou de la communication. Un joli kaléidoscope. Mais à une époque où tout est censé aller très vite, de quel changement parlez vous? Je trouve toujours d’ailleurs amusant de lire de vieux ouvrages de science fiction qui brocardent tel ou tel progrès. Quelques années après, on ressort parfois ces flèches… L’Histoire n’est peut être pas un éternel recommencement mais si elle ressort certains plats l’humanité demeure-t-elle?

Cécile · 26 juillet 2011 à 10 h 00 min

Cher Philippe, comment allez-vous ?
A article court, commentaire long ! Mais très intéressant ! Je partage votre opinion sur la lecture. En effet, le papier nous permet d’imaginer et d’aller au-delà des mots. Et comme vous le poursuivez avec l’explication de Jacques Ellul, les NTIC représentent peut être un danger pour notre capacité de réflexion. Cependant, c’est à nous utilisateurs et professionnels d’amorcer le changement, qu’en pensez-vous ?

Philippe de Casabianca · 26 juillet 2011 à 8 h 29 min

Chère Cécile,

Comme vous avez raison. Je ne suis pas loin de suivre votre papier. Il n’y a pas très longtemps j’ai écrit un topo sur les NTIC. Je vous en livre un extrait:

« Pour Marianne Wolf, neurologue à l’université de Tufts, « à l’écran, nous ne lisons pas, nous écrémons ».63 Pour ce chercheur, le recours à la pensée de Proust a alors ses vertus pour bien comprendre le rôle du livre à distinguer de la lecture de l’écran : «Par une loi singulière de l’optique et de l’esprit, ce qui est le terme de la sagesse des livres ne nous apparaît que comme le commencement de la notre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pourraient nous dire qu’ils ont fait naître en nous le sentiment qu’ils ne nous encore rien dit ». La lecture la plus épanouissante serait celle où l’on peut créer soit même les associations intellectuelles.

Or, comme l’explique d’ailleurs Jacques Ellul « l’image est le contraire d’une démonstration, l’intuition, le contraire du raisonnement, l’association d’idée exclut toute rigueur de pensée logique »64. En ce sens, ce culte de l’image véhiculé par les NTIC s’oppose au mode de fonctionnement de la parole décrit par Jacques Ellul comme provoquant « nécessairement un mode de pensée par démonstration suivant un processus logique ou dialectique ». Avec les NTIC et leurs images, ce sont donc nos capacités d’argumentation qui en prennent un coup. Et pourtant, on en redemande !

C’est que le fait de pouvoir sauter d’une information à l’autre amuse et stimule. Pour autant, il n’est pas certain que l’utilisateur sache toujours où il en est. Pour Alain Cordier, président du directoire de Bayard Presse, « la fluidité permanente du numérique, dont l’épine dorsale est l’hyperlecture, va nous poser des problèmes de gestion du raisonnement, lorsque l’hyperlecture devient du zapping, qu’on ne sait plus où l’on est, ni où l’on va ».65 C’est là qu’on touche le paradoxe du tout à l’image brossé par Philippe-Olivier Rousseau. Pour lui, « si l’espace se trouve comme annulé par les technologies de l’image (à tout moment, je peux voir ce qui se passe dans le monde ; les mêmes images sont transmises en temps réel sur toute la planète), la consommation de ces images repose, elle, largement sur la discontinuité, sur le zapping »….. »

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