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Réductions d’effectifs par-ci, concurrence d’autres moyens d’information par là, les journalistes ont de quoi voir l’avenir en noir. Faut-il, pour soulager leurs peines, en venir à envisager leur suppression ?

Un journaliste souffre. Par définition. Sans doute comme l’artiste qui peine tant que son œuvre n’est pas achevée et qui peine encore parce qu’elle n’a qu’imparfaitement donné chair à son idée créatrice. Un journaliste qui ne souffre pas est un journaliste mort : il a besoin de cette souffrance pour mettre en scène ce qu’il voit, entend et comprend. C’est cette souffrance qui le mènera vers son public.

Cette vision nécessite une plongée en profondeur dans les méandres de la circulation de l’information et du métier de journalisme. Elle implique d’aller au-delà de répugnances parfois spontanées. Elle implique aussi d’aller au-delà des confortables suffisances liées à un statut ou à l’appartenance à des convictions pas toujours vérifiées. C’est en approfondissant cette vision que l’on comprend la spécificité du journaliste et, par là, la nécessité d’en préserver l’existence.

Tous journalistes ?

Notre reporter à Bruxelles

Pourtant, ne sommes nous pas tous journalistes ? A l’heure de l’internet et autres Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), ne pouvons nous pas être témoin d’un événement, le fixer sur notre gsm et l’envoyer au monde entier par lien ou par e-mail ? Mieux, nous n’avons même pas besoin de bouger : l’information vient à nous et nous la renvoyons digérée par nos différents sens à notre liste de diffusion. Voilà qui va faire souffrir les journalistes, c’est sûr, et rapprocher leur  profession du cimetière des professions disparues.

Ce n’est pourtant pas sur ce genre de pierre qu’il faut bâtir leur nécropole. Certes, la diffusion électronique de l’information amène à revisiter leur mode de travail, de diffusion et de réflexion. Il leur faut se montrer plus réactif, davantage capable de faire de l’investigation, plus soucieux encore de replacer les événements dans leur contexte. En somme, il leur faut être davantage journalistes. Concurrencés, ils n’ont qu’à être meilleurs.

Cela implique dès lors davantage de pédagogie et d’humilité. De la pédagogie parce qu’ils ont le devoir d’expliquer leur souffrance, celle là même qui est salutaire tant pour eux même que pour leur public. Au-delà de la force créatrice de cette souffrance, observons qu’elle peut dédouaner les journalistes de la réputation de charognards qu’ils pourraient avoir. Certains d’entre eux se délectent exclusivement des catastrophes.

Ils sont une forme de caricature.

Mais la plupart, sans être accros au sang des drames, ont un certain besoin de peindre les problèmes, de se faire écho de ce qui ne va pas. Une bonne raison à cela : à l’annonce d’une information positive, le journaliste a un réflexe presque automatique visant à détecter l’intérêt qui est par là promu. Les informations ne poussent en effet pas comme des champignons après la rosée du matin. Si elles sont transmises, c’est dans un but précis, ce qui n’enlève pas leur honorabilité mais ce qui les replace dans leur contexte. A cet égard, le vecteur de la souffrance (que me cache-t-on ?) peut jouer le rôle de la vigilance si cela ne tourne pas à l’obsession pathologique. C’est donc particulièrement salutaire, surtout si, par exemple, on fait face à une stratégie de communication de crise, stratégie qui vise justement à faire passer le message que tout va bien.

Rien ne vaut un bon drame

Et au fond, cela intéresse-t-il toujours le public de savoir que tout va bien ? Cela vaut un temps, mais à la longue, cela finit par lasser. Le public a besoin d’une tension, d’une souffrance à explorer et, aussi, à résoudre. C’est une intensité dramatique qui construit l’intérêt du public, qui sert d’hameçon pour que le lecteur rentre dans l’article et surtout, surtout, pour que le journaliste lutte, par exemple, contre les faire part de décès, eux qui sont d’excellents pourvoyeurs de lecteurs.

On le voit donc, la pédagogie de la souffrance peut aider à renforcer l’honorabilité des journalistes parfois attaqués pour leur goût du sang. Mais il faut aller plus loin et faire preuve de modestie : ils ne sont pas les seuls à lire les dépêches des agences de presse qui grouillent sur internet. Le journaliste doit savoir vendre avec tact l’obligation qu’il a de rendre des comptes à son public et à ses chefs.  Il doit savoir vendre l’impératif de remise en contexte, une obligation qui ne s’accommode pas toujours bien de la rapidité de diffusion  des informations électroniques.

A l’opposé, le blogueur individuel, s’il diffuse un mauvais article, ne subira pas ipso facto des conséquences professionnelles ou financières. L’insertion du journaliste dans un cadre professionnel l’oblige au respect de certaines normes et à une certaine pédagogie. Mais blogueurs et journalistes partagent un même plaisir à être visibles. Est-ce de là que vient la concurrence ? Une saine concurrence les renforce. Les journalistes sont morts. Vive les journalistes.

Philippe de Casabianca

Retrouvez chaque lundi les articles de Philippe de Casabianca sur morethanwords.fr

 

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4 commentaires

Zar-Ayan · 3 juillet 2011 à 11 h 50 min

Le net est aux journalistes ce que la comète fut aux dinosaures. Une nouvelle espèce est en train d’apparaître, tandis que l’ancienne s’éteint. Il faut abandonner le journalisme-dépêches, qui n’est plus du journalisme, mais du traitement automatique de l’info. Bientôt, des machines le feront. Et qu’avons-nous de mieux que les machines? Le flair, l’imagination.

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