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Elles sont partout et savent tout faire. Cerveau de substitution, levure de la modernité, énergie ultime mais en mouvement des personnes branchées : nul n’y échappe. Signe des temps et peut être de son impitoyable témoin qu’est la bedaine envahissante, devant elles, le « que du muscle » est non seulement illusoire, il est aussi périmé. Car elles tiennent toutes leurs promesses, même celles des autres. Certains en ont rêvé, elles, elles l’ont fait. Avec elles, avec les Nouvelles Technologies donc, c’est déjà demain. Et ceux qui sentent se lever un vent mauvais n’ont même plus à refaire leurs calculs, les Nouvelles Technologies l’ont déjà fait.

Parce qu’elles le valent bien ? Mais nous valent-elles ? Entourés par elles, de l’ordinateur à l’hôpital, de l’OGM à l’hospice, il nous devient difficile de remettre en cause leur omnipotence sans donner l’impression de les ostraciser… Dire que tout est parfait dans le meilleur des mondes serait peu plausible. Feraient-elles exception ? La diffusion des Nouvelles Technologies dans notre société ne doit pas nous contraindre à l’absence de débat sur leurs impacts, leurs bénéfices et leurs limites. Faut-il tout accepter, vaille que vaille, ou tout brûler autant Savonarole que Talibans de notre temps ? Comment faire le tri, comment discerner, comment donc prendre du recul ? Comment être sûr qu’elles, elles ne mentent pas?

Il convient sans doute de commencer par se rappeler ce qui fait la spécificité de l’Homme dans son univers et ainsi on comprendra sous quel prisme ont doit envisager les Nouvelles Technologies. Etre vivant, l’homme est matière et esprit, producteur tant de matériel que d’immatériel, individu mais chaînon d’une société. Sa conscience est le plus souvent apte à distinguer en lui ces différentes caractéristiques et à en reconnaître les deux pôles principaux, la vie physique et la vie spirituelle, l’une enrichissant l’autre dans un cadre optimal.

Or, « c’est en usant seulement de la vie… qu’on apprend à concevoir l’union de l’âme et du corps. Les choses qui appartiennent à cette union se connaissent très clairement par les sens ». Bien des jeux vidéo, films en trois dimensions et autres avatars n’ont sans doute qu’à aller se rhabiller en écoutant cette admonestation de Descartes. Pour André Mondoux (université de Montréal) aussi, il s’agit ici de bien comprendre ce qui signe le propre du développement de l’homme : «l’homme est une entité inachevée dont le mode d’être exige qu’elle se complète en s’extériorisant par le biais d’un rapport d’altérité ».

Spectateurs hyper individualistes

Cette définition signe probablement une grande limite des Nouvelles Technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui, malgré leurs palettes graphiques, leurs mémoires vives et leurs octets au kilo sont davantage bateaux ivres, expériences artificielles et mirages à la pelle que ressac de la vie, qu’expression authentique de nos âmes, que dépassement fondateur de notre destin.

La puissance des Nouvelles Technologies nous transforme plus en spectateurs rendus hyper individualistes qu’en acteurs des phénomènes de communication de l’information et des excitations ; elle généralise le phénomène de procuration (on vit et ressent des émotions par intermédiaires) comme acte normal de vie, repoussant cette union de l’âme et du corps que Descartes appelle de ses voeux pour authentiquement participer de la vie.

Peut-on faire en 2011 comme si les Nouvelles Technologies n’existaient pas ? Peut-on passer outre leur formidable pouvoir de séduction ? Pour Serge Tisseronsi « les enfants des années 70 étaient les enfants de Marx et du Coca Cola, ceux d’aujourd’hui seront ceux des copains et des nouveaux média ». A ce qui ressemble à un constat fataliste, Arthur Charles Clarke répond, « plus les moyens de diffusion se font merveilleux, plus barbare, atterrant et choquant est leur contenu ».  S’il ne fallait qu’un exemple, citons le cas du jeu vidéo GTA où la réussite se mesure en braquages, meurtres et rails de cocaïne… Internet, sans se réduire à ce genre d’exemple, en fourmille pourtant.

Devant le foisonnement d’images et de produits, les Nouvelles Technologies donnent le tournis. Mais qui sont-elles vraiment ? Le centre de recherches pour le développement international du Canada les définit comme « les progrès récents dans les systèmes assistés par ordinateurs et certains types de biotechnologies. C’est un secteur où le mode de production dépend du stockage, de l’extraction et l’application des connaissances de l’information »

Il convient donc de ne pas limiter les Nouvelles Technologies aux NTIC même si ces dernières en sont probablement les plus emblématiques. Cela est d’autant plus vrai qu’étymologiquement, les technologies désignent le discours, la science de la technique. Tout discours sur les Nouvelles Technologies doit donc passer par une appréhension de la science, de la technique et de l’Homme qui les emploie en son monde, son avenir et son passé.

La puissance de la machine

Les développements récents et de plus en plus rapides de la technologie ont en fait abouti à une confusion de la science avec son objet : la technologie se comprend de plus en plus que par l’objet auquel elle a aboutit ; elle est de moins en moins science, de moins en moins discipline et de plus en plus objet. Avons-nous dès lors encore les moyens de l’appréhender, de la comprendre ? Est-elle encore moteur, discipline, de notre développement ?

Alors que la puissance des Nouvelles Technologies pouvait laisser supposer une meilleure maîtrise de notre avenir, enfin extrait de nos contingences humaines, leur évolution contemporaine, avec une complexité pas toujours bien maîtrisée peut ajouter de la confusion : la puissance de la machine ne se transfère pas automatiquement à l’homme, espèce désormais un peu sonnée, souvent trébuchante, espèce à protéger. En filigrane, les Nouvelles Technologies posent aussi donc la question du statut et donc de la liberté de l’Homme. Vis-à-vis des NTIC et de leur revendication au lien social, il est sans doute intéressant de citer la définition de Miguel Benasayag pour qui « ma liberté n’est…pas ce qui s’arrête là où commence celle d’autrui. Au contraire, elle commence par la libération d’autrui et à travers lui. » Est-ce donc ce contact et cette liberté authentiques que les NTIC favorisent ?

Une chose est cependant à peu près sûre : la masse d’information que ces Nouvelles Technologies nous amènent n’est pas toujours synonyme de paix. Comme l’explique Gabriel Vahanian, « au fur et à mesure que le monde rapetisse, l’homme se fait de plus en plus nomade »

Rehumanize Yourself (1)

Devant son ordinateur, l’homme bouge sans quitter son siège : il s’agite, il se démène pour gouter aux fruits de plus en plus banals d’un monde de plus en plus cartographié par d’autres intelligences que la sienne. Et quand de nouveaux engins de locomotion sophistiqués rendus possibles par ces Nouvelles Technologies le font sortir, c’est en s’affranchissant certes pas des distances mais du temps (on voyage de plus en plus vite tant et si bien que certains font l’éloge, par réaction, de la lenteur), une composante pourtant essentielle de son développement et de sa nature. Est-ce l’homme nouveau que les Nouvelles Technologies ont fait ainsi naître ? Où est-ce la nef des fous qui le balade sans boussole ni bosse d’une intelligence vraiment maîtrisée ?

Les Nouvelles Technologies sont donc-t-elles un prolongement de l’homme ? Oui, car au coeur des Nouvelles Technologies résonne un certain appel du large, un appel à aller plus loin, au-delà de nos horizons, en bref une exigence de mouvement et de dépassement . Oui encore, car le potentiel de démesure magnifié, intensifié, véritablement accru par ces Nouvelles Technologies ressemble à des risques qu’il faut combattre tout comme l’homme doit savoir lutter contre ses erreurs. Oui enfin, car au fond, une certaine mesure de l’homme, c’est naturellement une forme de démesure qui existe déjà, les Nouvelles Technologies ne faisant que traduire cet état de fait.

C’est donc bien dans l’Homme qu’il faut chercher le crible.

Philippe de Casabianca

(1) : lire l’intro de Denis Gentile

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3 commentaires

Et vous, que faisiez-vous en octobre 1981 ? | MoreThan Words · 12 février 2013 à 16 h 02 min

[…] 1- « Rehumanize Yourself » chantait Sting en 1981. 30 ans plus tard, la situation est-elle critique ? Au point de voir dans les NTIC notre salut ! (Lire Part 1, Idées Reçues: Les Nouvelles Technologies sauveront le monde) […]

L’homme est modifié par ses propres moyens d’expression | MoreThan Words · 12 septembre 2011 à 5 h 01 min

[…] Cet article est la suite de « Idées Reçues : Les Nouvelles Technologies sauveront le monde ! » […]

Idées Reçues: Les Nouvelles Technologies sauveront le monde (Part 1) | Réseaux sociaux - Communautés | Scoop.it · 16 août 2011 à 11 h 30 min

[…] Idées Reçues: Les Nouvelles Technologies sauveront le monde (Part 1) […]

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