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Ah, que ne ferait on pas sans les Turcs ? Pas de bataille de Lépante à célébrer en trempant son croissant dans un bon petit noir, pas de Pierre Loti pleurant sur la tombe d’Aziyadé, pas de Parthénon à ciel ouvert sur l’Acropole ni de frises subtilisées par le British Museum ! Alors je vous le demande, peut-on encore faire la fine bouche devant la demande d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne ?

Il faut sans doute un peu plus que le charme du Bosphore et le souvenir de la Cappadoce pour faire passer la pilule auprès de l’opinion publique française, l’une de celles qui se montre la plus réticente à l’idée d’une Turquie membre de l’Union Européenne. Certains ont voulu voir dans cette réticence une forme de tropisme hexagonal à l’image de ce référendum qui, un temps, mais un temps seulement, stoppa le parcours de la constitution européenne.

Café turc

Pour surmonter les réticences, on fait miroiter aux industriels la jeunesse des consommateurs turcs, on rappelle que la Turquie est le terminal du gaz et du pétrole qui vient de la mer caspienne, mais surtout, c’est juré, on rappelle que la Turquie de maintenant, ce n’est pas l’Empire Ottoman d’hier. En bref, malgré des négociations houleuses, la Turquie serait parfaitement soluble dans l’Union Européenne. N’est-elle d’ailleurs pas en train de suivre la transition démographique que connaît l’UE ? C’est possible, mais il y a encore pas mal de chemin.

Dans tout café turc qui se respecte, on doit trouver au fond de la tasse un résidu de marc. Pour les amateurs éclairés, c’est un gage de qualité. Pour les sceptiques, cela renforce l’amertume voire la méfiance. Ainsi en est-il des conditions qui entourent en réalité cette adhésion. Car ne tombons pas dans l’anti américanisme primaire en s’offusquant que Barack Obama ait cru bon de rappeler le 5 avril 2010 à Prague que « les Etats Unis soutiennent très clairement la candidature de la Turquie à l’Union Européenne ». Non, ne nous arrêtons pas là. Regardons en effet, le marc, ce qui reste quand on a avalé le café.

Dans ce marc, que trouve-t-on ? A première vue, l’arrivée d’un nouvel Etat membre encombrant : comme l’explique le démographe Gérard François Dumont, la Turquie est le plus vaste des 18 pays d’Asie occidentale avec en outre 31% de terres arables, soit une proportion supérieure à des pays comme le Brésil ou la Russie, soit encore toujours plus que n’importe lequel des membres actuels de l’UE à 27.

Cela mérite réflexion et nous amène à nous demander si ce n’est pas l’UE qui doit être soluble dans la Turquie. Il va vite falloir trouver une réponse car le temps court. En 1950, la Turquie comptait 21,4 millions d’habitants, en 2010 elle affiche 73,6 millions au compteur, dépassée dans l’UE que par l’Allemagne, pays de forte émigration turque…

Laïcité et immigration

Mais pourquoi donc s’effrayer de ce réservoir de richesse humaine à portée de main ? Eh bien parce que les Européens et les Turcs ne comptent pas du tout les utiliser de la même façon. Quand la France, l’Allemagne ou le Royaume Uni ont coutume d’accepter force demandes de naturalisation, la Turquie ne le fait que du bout des lèvres pour les Azéris, pourtant membre de la communauté pan turque. Erdogan est allé plus loin, lui qui a déclaré à Cologne en 2008 que l’assimilation des immigrés était un crime contre l’humanité.

Quand les Européens, même s’ils ont des interprétations différentes de la notion de laïcité, considèrent la diversité religieuse comme une richesse, les Turcs font passer le taux de chrétiens de 20% au début du XXième siècle à …0,2% en 2011. Ils affichent un pourcentage de musulmans supérieur à celui de l’Iran. Et on n’accepte pas n’importe quels musulmans : les alévis ne sont pas en odeur de sainteté en Turquie.

On a donc en Turquie une conception très particulière de la laïcité. Chaque vendredi le ministère des affaires religieuses envoie aux mosquées son sermon. Imagine-t-on Benoit XVI lire un discours préparé et payé rubis sur l’ongle par Silvio Berlusconi ? Imagine-t-on la Commission Européenne fermer les séminaires  comme l’a fait le gouvernement turc ?

La Turquie est donc bien différente de bien des traditions et situations européennes. Elle a d’ailleurs les cartes pour continuer de les entretenir, jouant son rôle de carrefour énergétique, son rôle de propriétaire des sources du Tigre et de l’Euphrate et son rôle de puissance ouvertement musulmane en soutenant l’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran et en conservant la présidence de la Conférence Islamique depuis 2004. Trait d’union entre plusieurs influences et zones géographiques, la Turquie irait elle à perdre ce rôle en se dissolvant dans l’une d’entre elles ? Rien n’est moins âcre. Comme le marc.

Philippe de Casabianca

 

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3 commentaires

Philippe de Casabianca · 2 août 2011 à 6 h 14 min

Que voulez vous dire? Que l’Europe se perd en acceptant la Turquie? Qu’elle va trop vite dans son processus d’adhésion? Que ce qui est bon pour la Turquie ne l’est pas forcément pour l’Europe?

LOIC · 1 août 2011 à 16 h 35 min

Suite à la demande de Denis Gentile, transfert depuis FB

Sans a priori contre les Turcs que j’aime visiter, sans dire que ce pays n’est pas des nôtres, je dis que ce pays n’a pas à entrer dans l’UE. D’ailleurs seul Istambul est en Europe. Je pense d’ailleurs aussi que l’on aurait du patienter un peu avant de faire le dernier grand écart incluant la Roumanie, la Bulgarie J’ai appris l’allemand en 6ème parce que je croyais à une certaine vision de l’Europe en 1960. Depuis elle m’a apporté beaucoup de satisfactions (l’aide aux pays européens défavorisés), mais aussi beaucoup de déceptions… @+

Le choc des Misérables de Hugo, du Bateau Ivre de Rimbaud... | MoreThan Words · 1 août 2011 à 5 h 21 min

[…] – IDEES RECUES : La Turquie est soluble dans l’Europe Mots-clefs :classiques, littérature, philippe de casabianca, roman Previous article  […]

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