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Faut-il inscrire l’auteur sur la liste des espèces menacées ? La question peut se poser à l’heure où il doit souvent s’abriter face aux pluies de critiques qui le vilipendent quand elles ne l’enterrent pas en deux temps trois mouvements. A l’heure d’un internet obsédé par le flux, l’auteur créateur de contenu souffre-t-il d’un péché mortel ?

Livres d'auteurs connus en colonne devant l'olivier

On a presque tout enlevé à l’auteur. Il en est devenu tout nu et, contrairement au roi d’histoire enfantine, personne n’a vraiment attendu pour le dire et s’en moquer. Même ce qui fait son essence lui a été retiré, la création artistique, pour être greffé à d’autres qui, sans ses idées ne seraient qu’outres vides : c’est désormais le publicitaire qui est le créatif (pas encore le créateur, mais ça ne saurait tarder) et l’auteur est bien souvent abonné aux cimetières de l’ennui.

L’avez-vous oublié, l’auteur, vous savez, c’est celui qui réalise des films qui endorment tout le monde, sauf les jurés d’un festival, le temps d’une soirée sur bord de plage. Le cinéma d’auteur, c’est cette rocking chair qui n’en finit pas de grincer dans une éternelle contre plongée, c’est ce pétale de fleur qui tombe à terre dans l’éternelle traque d’une caméra qui s’est prise pour un microscope, l’auteur c’est donc celui qui demeure tandis que je meure…

Pourtant, les auteurs ne sont pas tous employés par des entreprises de pompes funèbres, ils n’ont pas tous vocation à susciter et à entretenir notre agonie. Ils sont, je l’espère plus souvent, passeurs de lumière, de leurs lumières certes, mais de lumière tout de même. Cette capacité à la transmission peut prendre du temps à mûrir ; elle ne se décrète pas quant bien même on voudrait être Chateaubriand ou rien et elle ne tombe pas forcément du Ciel : nous n’allons pas tous sur le chemin de Damas en quête de combat pour la vérité.

C’est justement cette transmission de sa vérité qui rapproche l’auteur de ce que l’on reconnaît comme la vocation actuelle de l’internet, un activateur de flux. Par des raccourcis en réalité peu féconds, certains théoriciens de l’internet opposent contenu et flux. Si on prend le cas de l’auteur, cette opposition n’est que rhétorique. C’est parce qu’il est créateur de contenu qu’il peut générer du flux. De même, c’est parce qu’elle contient des particules, les photons, que la lumière peut, en les agitant, se manifester.

Filons la métaphore. En frappant différents objets, la lumière est révélatrice. Mais elle-elle créatrice ? Est-elle auteur ? Cela n’est pas certain. De même, quand les chantres de l’internet collaboratif affirment faire œuvre de création en jouant les agrégateurs d’information, cela revient à prétendre être journaliste en rapportant telles quelles les paroles de tel ou tel décideur. C’est une évidente confusion avec le rôle de porte parole ou avec la fonction de RSS.

Rien pourtant n’empêche l’auteur d’utiliser les fils RSS pour tisser ses histoires mais il ne faudrait pas qu’il tire trop dessus de peur de n’exciter la jalousie des Parques. Car s’il pioche ça et là, au carrefour de ce qu’il lit, voit et entend, pour repasser tout cela par sa cuisson personnelle, l’auteur sait aussi labourer son imagination parfois très loin de ces flux de connexion permanente que sont les nouvelles technologies.  Certains penseurs, certains écrivains aiment à se retirer loin des flux permanents mais peut être pas loin de ce que ces flux ont transmis auparavant. C’est sans doute le signe que l’auteur a besoin de recul, de déconnexion pour être vraiment lui et pas simplement servile roue de transmission.

Car c’est bien cela qu’on attend de l’auteur : du corps, de la jambe, de la cuisse, de la personnalité goûteuse qui donne envie d’en reprendre. Ce qui charpente l’auteur et en fait un produit de garde, c’est qu’on n’a pas envie de le mettre sous verre, mais qu’on a envie de le confronter au créateur qui sommeille en nous pour le frotter à notre vérité. L’auteur doit être partageur de lui même.

Philippe de Casabianca

Chaque lundi, Philippe de Casabianca sur morethanwords

 


10 commentaires

Name * · 25 juin 2011 à 14 h 47 min

Tout d’abord, posons-nous la question de savoir « Qu’est- ce qu’un auteur ? », comme l’avait posée en son temps Michel Foucault (1969). Il faisait remarquer qu’à l’époque ancienne, c’était le nom de l’auteur qui était la caution de la validité d’un texte. De nos jours, le concept d’auteur renvoie à la notion de postérité en ce sens que, même mort, l’auteur survit grâce son œuvre. Il est ainsi par exemple de Victor Hugo pour les « Les Misérables », d’Alexandre Dumas pour « Le Comte de Monte- Cristo », ou d’Antoine de Saint-Exupéry pour « Le Petit Prince », œuvres devenues célèbres de par le monde.
L’assertion « l’auteur doit être partageur de lui-même, est recevable. Je la situerais, de mon point de vue, dans la catégorie spécifique au roman, précisément le roman du genre autobiographique où le héros, un alter ego du romancier, tente de cerner sa personnalité. Ou bien le roman d’amour qui met en exergue la psychologie dans le rapport d’un couple, souvent conflictuel, menant les héros à l’exaltation de la passion amoureuse ou à la jalousie destructrice.
Sur un autre plan littéraire, notamment les textes philosophiques, l’exigence ou la rigueur ne laisse place à la l’expression de l’état d’âme de l’auteur ni au partage de lui-même.

JCY

F.Gébère · 23 juin 2011 à 12 h 24 min

Mon slogan: « un auteur qui prend de la hauteur », car il en faut pour s’imposer dans ce monde où règnent les BHL, Assouline, Levy… tous les bulldozers indétrônables dont la pub engluante, faite par les éditeurs ayant pignon sur rue, arrose sans commune mesure. Alors moi, je fais cela d’une façon plus simple en usant de la force des réseaux sociaux et par des slogans du genre : « avis de décès imminent: ce livre va mourir avant d’être né » envoyés aux journalistes et autres professionnels. Un véritable travail de fourmis !
Sinon que faire pour être reconnu par ce milieu ?
FGB

saloua · 22 juin 2011 à 11 h 12 min

« L’auteur doit être partageur de lui même » : c’est là que demeure toute sa magie, il partage avec nous ce qu’il a de plus enfoui et de plus profond et nous permet quand même de nous y retrouver !

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