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J’aime lire les anthologies car ce sont des recueils pratiques, souvent composés par des esprits avertis, des sensibilités éclairées. En revanche, je ne suis pas certain d’aimer composer des anthologies: pourquoi limiter maintenant mes découvertes? Offrir donc les textes qui m’ont changé ne saurait être pour moi un arrêt sur image mais une video en mouvement. L’émotion littéraire est, comme j’aime à le dire, du sable dans la source: elle coule et elle est essentielle. Elle ne doit pas s’arrêter.

Chocs littéraires

Quand on découvre le vin ou les parfums on peut être rebouté par leurs senteurs capiteuses. Mais on peut aussi être grisé tout comme un enfant qui découvre le vent ou l’envolée d’un roman au grand large, juché sur un albatros et ses ailes de géant. Je m’arrêterai là dans l’évocation à la sauce Madeleine de Proust ou divan de mes premières émotions littéraires. Je crois que cette évocation aide à comprendre le mécanisme de ce genre de séduction, entre scénario ou écritures grandioses et style invisible mais combien présent.

Tambours et trompettes, gong au-dessus de l’océan, émotion dans le sang qui fige l’horizon, j’ai eu le choc des Misérables de Hugo, de l’Harmonie du soir de Baudelaire ou du Bateau Ivre de Rimbaud. J’étais à Waterloo à charger et j’en suis sorti cabossé, rouge sang et mon feu ne s’en est pas éteint pour autant. Baudelaire ou Rimbaud, ils ont pris au noir de telles couleurs que le soleil devrait en être jaloux et moi avec!

On est ici dans l’incandescence même. Celle que l’on veut imiter…sur papier tout au moins. Gorgé de ces couleurs, on en veut davantage et on a ensuite du mal à ne pas rechercher forces volutes et encre de paradis artificiels.

Caresses littéraires

On en étouffe parfois et on en vient à chercher quelque chose de plus intact, de plus fort aussi. On a pas toujours besoin d’un grand orchestre pour faire passer les émotions. Une plus petite de musique de nuit, une plus douce ombre de brume peuvent suffire.

Aussi me suis je retrouvé dans le Rivage des Syrtes ou dans le Taxi Mauve. Dans l’un comme l’autre roman, les couleurs ne sont pas absentes mais elles laissent au blanc, au vide l’occasion de s’exprimer. Ce n’est pas ici une profession de foi en l’art conceptuel, mais plus simplement l’idée que toute flambloyante qu’elle soit, la couleur a besoin d’un support qui la valorise pour ne pas lui faire de l’ombre.

J’ai ainsi été frappé de découvrir dans ces romans un style qui, souvent loin des lourdes tapisseries, emporte le lecteur par la simple courbure de ses formes, comme le sable dans la source. C’est une invitation à creuser son âme sans renoncer au monde, à faire des odeurs de feuilles mouillées un bouquet de réminiscences, à voir dans les remparts face à la mer et aux ombres sur le sable autant de pistes où on est roi et sujet. Tout y coule de source, sans que l’on s’en rende toujours compte, tout s’efface dans le sable, sans qu’on l’accepte toujours et il faut alors rebâtir en un élan où joie et douleur naviguent de conserve.

Philippe de Casabianca

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1 commentaire

Parce qu’elles le valent bien ? Mais nous valent-elles ? · 4 juin 2015 à 15 h 27 min

[…] – CHOCS vs caresses : Du sable dans la source […]

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