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En exclusivité sur More Than Words, l’intégralité du texte de la conférence de l’ancien Ministre Driss Alaoui Mdaghri : « Ponctuation : Un chemin de Vie ».  La conférence de la personnalité qui a marqué le TEDx de Nice. Un auteur d’exception sur notre blog. Un réfugié poétique.

Perplexité 

Au commencement de tout, à la base de tout savoir, la perplexité face aux énigmes du monde. C’est en Méditerranée que s’est déployé dans toute son étendue le questionnement incessant auquel conduit une telle perplexité et qu’ont été de longue date apportées, toujours provisoires parce que continuellement en construction, les réponses les plus stimulantes et les plus universelles.

Ce mot, bref et forcément lapidaire, vise à partager quelques éléments d’expérience tirées du chemin de vie qui m’a amené à faire le parcours que j’ai fait et là où je suis, c’est- à dire là où je me déclare volontiers « réfugié poétique ». Parler de soi n’a d’intérêt que dans la mesure où cela nous éclaire à travers le singulier d’une vie, sur ce qu’il y a d’universel dans toute vie.

La distance, voire une certaine ironie par rapport aux choses, le plaisir de faire des choses simples, le partage et la rencontre avec les autres – indépendamment de leur origine, de leur race ou de leur religion – le sentiment que les choses ont un sens parce que fondées sur des valeurs universelles – sans renoncement à notre identité locale et à notre identité personnelle, la création et le rêve, c’est cela qui constitue mon chemin de vie. Ce chemin a été ponctué par la diversité des expériences, l’intensité du vécu, la fécondité des rencontres et des échanges qui ont représenté, chaque fois, une opportunité exceptionnelle pour aller de l’avant, créer du lien et approfondir la connaissance de  moi – même et des autres.

Je veux, ici, parodier Borges en disant « Toi, qui écoute, es – tu sûr de comprendre ma langue ? ». A quoi, je suis tenté d’ajouter « Toi qui parle es-tu sûr de comprendre ta propre langue ? ».

Au commencement, un « ? »

Dieu peut commencer par une injonction (que la lumière soit) mais nous autres pauvres humains, nous trouvons d’emblée face à des questions auxquelles il n’y a pas de réponse évidente.

Je crois que c’est peut être d’avoir eu constamment chevillé au corps ce questionnement permanent face aux choses de la vie que j’ai fait le parcours que j’ai fait.

Cette interrogation, présentée sous deux aspects :

Pourquoi les choses sont-elles comme elles sont ?

Que faire ?

Un exemple pour illustrer cela :

Les interrogations ont commencé à m’assaillir dès ma plus tendre enfance. Je ne vous raconterai pas la scène avec trois petites filles qui me mettaient face à la question épineuse de les départager à propos de leur anatomie dans la rue de la médina de Fès où je suis né, vous lirez cela dans un essai autobiographique, à paraitre.

En 1971 (à 27 ans), plein de jeunesse et d’ambition,  je me trouve  à Skhirat. Tentative de coup d’état contre le Roi Hassan II qui se termine dans un bain de sang, je m’étais enfui par la plage et j’ai encore le bruit des balles qui sifflent dans mes oreilles.

Question : quelques mois après, est-ce que le pays n’a pas fait complètement fausse route. Est-ce sa gouvernance qui a conduit  à cette situation ou des mouvements de fond extérieurs qui sont à l’œuvre et qui se conjuguent avec des problèmes gigantesques politiques et sociaux à l’intérieur qui expliquent cela ?

Que faire ?

Comme l’Algérie voisine passait pour la Mecque du Tiers Monde, je me suis mis en tête d’aller voir cette expérience de près. Peut-être que le modèle algérien était la bonne réponse.

Je n’ai pas mis longtemps  à m’apercevoir que les militaires + le parti unique + la bureaucratie + la gestion socialiste des entreprises, ce n’était pas vraiment la bonne méthode.

Aujourd’hui d’autres interrogations, tout aussi cruciales, au vu de ce qui se passe dans notre région, dans nos pays où les sociétés sont en pleine ébulition face à des systèmes politiques qui se décomposent plus ou moins brutalement sous nos yeux. Comprendre ? Que faire ?

Oui, l’interrogation mais tout aussi important, la surprise, l’étonnement…

 Surprise 

La surprise, oui ! Il est fondamental de garder une certaine naïveté face au monde, naïveté qui favorise la surprise. Il n’y a rien de pire que d’être blasé.

Il est probable que cette naïveté que je revendique m’a aidé à garder l’esprit ouvert à l’étonnement, y compris quand tout paraît évident.

C’est peut être le comportement rendu célèbre par les mythes fondateurs du management japonais, notamment les rapports d’étonnement à la suite de visites de pays étrangers, que j’ai intégré dans mon propre propre.

Cette attitude favorise le regard attentif et la réflexion approfondie. Elle permet de ne pas se laisser obnubiler par les apparences et de voir le réel sous différentes perspectives.

Cet étonnement a favorisé la recherche de l’information  et donc de la lecture (à l’époque,  il  n’y avait pas Internet). Je lisais tout ce qui me tombait sous la main.

Ce goût pour la lecture a profondément conditionné mes rapports avec mon entourage familial et mon implication, plus tard, dans des activités de documentation et de communication. En fondant avec quelques amis l’Association Marocaine d’Intelligence Economique dans les années 2000, j’étais dans la continuité de cette démarche.

Face à n’importe quelle personne, n’importe quel paysage, il faut avoir à l’esprit que c’est un monde entier qui s’ouvre à nous et qu’un grain de poussière  contient tout l’univers.

 Point et contrepoint 

Le point semble indiquer la fin de quelque chose. Il est, en effet important de savoir en finir avec certaines choses, tourner la page et regarder ailleurs. Et c’est pour cela qu’il est nécessaire chaque fois d’invoquer le contrepoint qui permet un éclairage autre, qui permet de trouver des solutions inattendues et d’explorer des territoires en friche.  C’est aussi un certain esprit de contradiction qui conduit à regarder à tribord quand tout le monde regarde à bâbord.

Les exemples concrets puisés dans mon vécu professionnel et personnel abondent.

N’ayant pas le temps de développer, je ne peux être qu’allusif et fatalement incomplet : la crise de l’électricité, le gazoduc Maghreb Europe et la 2ème chaine de télévision marocaine représentent trois cas symptomatiques qui ont,  pour le premier, favorisé le lancement de la production indépendante d’électricité au Maroc, pour le second, la réalisation du gazoduc Maghreb Europe dans un environnement complètement sceptique et le redressement d’une chaine de télévision et son passage au clair dans un contexte délicat, pour le troisième.

Quelques mots du gazoduc Maghreb Europe puisque une des constantes de mon action a été liée à la construction du Maghreb et à la coopération euro-méditerranéenne.

Peu de gens, y compris, des responsables de premier plan, croyaient à sa faisabilité alors qu’il impliquait trois pays entre lesquels les relations étaient plus ou moins tumultueuses, en l’occurrence l’Algérie, l’Espagne et le Maroc. Je vous passe les détails mais j’ai encore en souvenir les conférences de presse à Alger, Madrid et Rabat, où nombre des journalistes s’interrogeaient sur la faisabilité du projet au début des années 90 au regard du contexte géopolitique.  Comme Dominique Strauss Kahn  est déjà en mauvaise posture, je ne vais pas l’accabler en faisant état d’une lettre qu’il m’avait envoyée dans laquelle il exprimait sous forme de circonlocutions diplomatiques son scepticisme.

Aujourd’hui, ce projet d’un milliard de dollars tourne à plein régime à la satisfaction des pays partenaires et montre la voie d’une coopération euro-méditerranéenne réussie dans un domaine d’importance.

 Parenthèse 

Dans la vie professionnelle comme dans la vie personnelle, nous faisons des choses qui nous dévient de la route  empruntée et qui nous amènent sur des chemins de traverse.

Ce sont autant d’occasions de progresser dans la connaissance de soi et des autres, ainsi que dans l’accomplissement de notre destin. Ces parenthèses peuvent être heureuses ou malheureuses, c’est-à-dire procurant des plaisirs ou infligeant des souffrances. Sans elles, la vie serait un long fleuve tranquille, sans aspérité, sans relief et sans saveur.

Là encore un exemple : celui de circonstances familiales, que je peux qualifier de particulièrement douloureuses, à un moment où j’étais complètement absorbé par mon travail à la fin des années 70. J’étais alors directeur de l’ISCAE (premier établissement de formation en gestion du Maroc), ma carrière décollait en flèche et mon ambition d’entreprendre et de réussir était grande.

Le drame vécu m’a obligé à scruter au plus profond de moi-même ce qui faisait sens et à revoir la façon dont je conduisais ma vie. Vous comprendrez que la pudeur m’empêche d’en dire plus, mais croyez moi, j’ai fait en sorte que cette parenthèse, longue au demeurant, ne m’empêche pas de continuer mon chemin de vie, avec  moins d’arrogance et plus de recul.

Bien des années plus tard, une amie disparue trop tôt, Mary Weed, vivra quelque chose du même ordre qui lui fera écrire un petit livre « Work/ life Harmony », qui fonctionne comme le ying et le yang des chinois et d’écrire sur son lit d’hôpital une belle pièce de théâtre « Les amazones du crabe » qui parle du cancer et qui est un hymne à la vie. J’ai eu la joie de jouer avec quelques amis de différentes cultures cette pièce de théâtre, à Casablanca,  à Genève, à Cergy et dans d’autres lieux.

   Référence 

Les guillemets pour les références, les citations, les emprunts et les leçons que nous apprenons des autres.

Quand on me dit par exemple encore « Monsieur le ministre », si parfois cela flatte mon égo, la plupart du temps, cela me fait rire intérieurement parce qu’on ne tient jamais autant à cette appellation que quand on a cessé de l’être. La sagesse consiste à mettre cela entre guillemets.

J’ai appris une chose en effet, de mon long séjour – 10 ans en compagnie des princes qui nous gouvernent -, qui est de veiller à sculpter sa vie en veillant à être quelqu’un avant, quelqu’un pendant et quelqu’un après, c’est-à-dire à être quelqu’un qui a une vie juste.

Cela, je l’ai appris en observant la vie, le comportement de mes semblables et, pour cette tranche de mon vécu, maints hommes d’état qui ont su réaliser de belles choses, voire une œuvre grandiose, tout en gardant la tête froide.

Et puisque les guillemets annoncent des citations, gardons celle-ci de Montesquieu : « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument », et cette autre de Baltasar Gracian : « A quoi sert le savoir, s’il ne se met pas en pratique ? Savoir vivre est aujourd’hui le vrai savoir ».

 

 

 

 Retour aux étoiles 

Enfin, la création, l’esprit d’entreprise, la poésie, l’art…

Nous venons probablement des étoiles. Nous sommes les enfants des étoiles et nous retournerons aux étoiles.

C’est peut être pour cela que nous rêvons, que nous créons. Chacune de nos créations participe à la création de la vie.

Dans mon évolution, cela a toujours été présent. Cela ne l’a jamais été autant que ces dernières années.

Deux exemples :

La croisière Maghreb Europe pour la création de l’entreprise a consisté à embarquer 500 jeunes maghrébins et méditerranéens en les encadrant pour la création de leur propre entreprise.

La création de l’ensemble poético-musical Damana, fondé sur le dialogue créatif des cultures, à partir du « Livre des Secrets Perdus » qui traite du chemin de la liberté et qui nous a amené à faire des représentations à Dakar, à Washington, à Casablanca, à Rabat et à Milan.

Driss avec Damana

Pour clore en poésie, voici l’un des poèmes que l’on retrouve dans le spectacle de Damana :

Caravane

Regarde, au loin, regarde,

Les riches caravanes gorgées d’épices et de trésors,

Les amples abayas blanches

Et les chamelles d’une délicate nonchalance.

Le geste hiératique et souverain d’un prince des dunes

Marque l’arrêt

Tandis que s’assombrit le ciel

Et que se déploie, étincelante,

La sarabande des étoiles qui s’allument tour à tour

Jusqu’à couvrir le désert

D’un manteau immaculé de lumière.

Le pas rapide des femmes qui se déhanchent se fait mol.

Je rêve et je m’en vais;

Là-bas je m’en vais;

Suivre

Les riches caravanes gorgées d’épices et des trésors;

Les amples abayas blanches

Et les chamelles d’une délicate nonchalance.

انظر، بعيدا، أنظر

القوافل الغنية الممتلئة بالتوابل و الكنوز

العباءات البيضاء الفضفاضة

و النوق  ذات الفطرة الحساسة


Look into the distance, look

The rich caravans laden with spices and

Treasures

The ample white abayas

And the delicate nonchalance

Of the she-camels

 


Osserva nella distanza Osserva

Guarda il sovrano e ieratico principe delle dune

Annunciare i segni dell’arresto

Mentre il rapido ondeggiare delle donne rallenta

Il cielo se fa buio

E le stelle si spargono

In una splendente sarabanda

una dopo l’altra

Sino a quando il mantello immacolato di luce

Copre il deserto

Osserva nella distanza Osserva

 

Driss Alaoui Mdaghri

Un grand merci à Driss de m’avoir autorisé à publier ce texte, dans l’attente d’une interview et d’un dialogue plus approfondi.

A lire aussi sur le TEDx de Nice :

Les rencontres, les mots étonnants et les secrets perdus du TEDx de Nice. Vous y retrouverez Driss et les phrases en ‘live’ qui sont venues enrichir sa conférence comme « Quand on perd la capacité de s’étonner sur les choses les plus simples, alors on perd la capacité à découvrir ! »

Simon Crann parle de l’ouverture du premier The Hub en France à Nice : « Un projet pour tous et pour être vraiment heureux ! »  C’est l’autre fait majeur de ce TEDx avec l’annonce du projet pour l’ouverture du premier HUB en France.

La civilisation numérique est l’avenir de la nature humaine ! C’est ma contribution à ce TEDx. En quelque sorte ce que j’ai appris en écoutant les intervenants de ce TEDx.


Denis Gentile

Je suis un passant. Ici et maintenant, je suis un passant du web. Le Passant est celui qui va d'un lieu à l'autre, d'un sentiment à l'autre, il n'est jamais le même. Je passe d'une page à l'autre, d'un blog à l'autre, d'un message à l'autre. Et ces pages, ces blogs et ces messages, je les passe aux autres passants qui y passent à leur tour :) Plus prosaïquement, je suis un Storyteller, Blogueur & Rédacteur Web. Mais le rôle que je préfère, c'est celui de Digital Storyteller !

2 commentaires

Nawel · 3 avril 2012 à 8 h 33 min

Bonjour, très bel article, grand Monsieur Mr Driss, à bientôt Denis et merci pour ce partage.

Nawel.

Cécile TALEC · 2 avril 2012 à 12 h 34 min

Merci beaucoup Denis ! Quel joli cadeau que nous fait !
Avec le poème en plus ! Fabuleux !
Très heureuse d’avoir partagé ce beau moment avec toi ! Qu’il nous inspire encore longtemps 🙂

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